France Sushi : Hamada Syuzou fut fondée en 1868, un tournant au Japon puisque c’est l’année de la Restauration Meiji. Quels sont les principes fondamentaux de votre distillerie ?
Kimiko Hamada : La philosophie de notre entreprise, dont mon frère aîné est le PDG actuel, est de fabriquer du shôchû qui ne soit pas qu’une boisson, mais un moyen de partager d’un côté toute la culture et l’histoire qui l’entoure, et d’un autre nos valeurs, notre volonté de participer au progrès et au bonheur de l‘humanité. Dans ce but, nous nous focalisons sur trois concepts majeurs : tradition, innovation et héritage. Tout d’abord, nous utilisons les techniques de fabrication qui ont perduré pendant les ères Meiji, Taishô et Shôwa, et conservons un lien fort avec notre région. Kagoshima était un pays regorgeant d’or, et nous avons décidé de faire vieillir nos produits dans les galeries de ses mines. Nous avons cependant innové en automatisant les techniques de fabrication afin de permettre au plus grand nombre de se procurer nos honkaku shôchû. Enfin, nous réfléchissons aux liens que nous pourrions tisser avec le futur.
Comment le shôchû a-t-il évolué depuis 1868 ?
À l’origine, l’alcool au Japon était fabriqué chez soi, tout comme le miso ou la sauce soja, surtout à la campagne, et était vendu aux habitants des environs. C’était le cas de ma famille : nous faisions commerce d’autres produits puis avons décidé de nous lancer dans le shôchû. Ce qui a changé depuis cette époque, c’est le type de kôji utilisé, l’élaboration de la technique dan-shikomi, ainsi que l’expansion du marché à partir de 1965 environ et qui a connu trois booms jusqu’en 2013. Ce qui était fabriqué et consommé à Kagoshima dans le sud de Kyûshû s’est propagé étape par étape : d’abord à travers l’île, puis plus au nord, et enfin dans tout le Japon. On peut aujourd’hui en trouver où qu’on soit dans le pays ! Pour répondre à cette croissance du marché, le shôchû fut décliné en de nombreuses variétés, en changeant le kôji, la levure, la patate douce, ou encore la technique de distillation (à forte ou faible pression par exemple). Cela a permis d’offrir aux fabricants d’imojôchû (shôchû de patate douce) une grande liberté de création. C’est un des principaux changements qu’a subis le shôchû et une de ses grandes forces.
Une autre des forces du shôchû est que, contrairement aux alcools blancs qui doivent souvent être vieillis avant d’être consommés, l’imojôchû de Kagoshima peut être bu jeune, comme le Beaujolais nouveau. La saison de fabrication dure généralement d’août à décembre. Nous produisons sur cette période la majeure partie de nos bouteilles et les mettons en vente pour l’année. En plus de ces shôchû jeunes, nous en faisons également vieillir pendant trois ans et plus. Le souci aujourd’hui, c’est que les gens des générations qui ont découvert le shôchû lors des 3 booms ont plus de 40 ans, et les jeunes japonais en consomment moins, en plus d’être de moins en moins nombreux à cause de la baisse de natalité. La baisse du marché japonais est donc un futur inévitable et nous inquiète en effet beaucoup. Ainsi, pour nos 150 ans, nous avons voulu créer un shôchû qui nous lierait au futur : quelque chose que les jeunes puissent apprécier. C’est Daiyame, un honkaku shôchû de patate douce au parfum fruité de litchi. Nous avons utilisé une formule un peu différente des méthodes habituelles et, malgré un marché restreint, nous continuons de progresser grâce aux retours que nous font les clients et clientes ou encore le concours européen IWSC qui nous a décerné un prix.
Quelles sont les particularités gustatives du shôchû que vous avez amené en France, Kogane ?
Cette nouvelle marque est faite à base de shôchû de patate douce à 30° mélangé à du shôchû d’orge. Cela mêle le côté riche et sucré de la patate douce à l’élégance et le goût plus sec de l’orge. Nous avons obtenu un shôchû bien équilibré, ce qui était très important pour nous au moment de sa conception, et au goût intéressant et profond. L’imojôchû est habituellement à 25°, mais les 30° du nôtre permettent au goût de rester plus longtemps en bouche.
Il existe de nombreuses manières de boire le shôchû. De quelle façon préférez-vous boire le vôtre ?
L’imojôchû est si versatile que l’on peut le boire comme on veut, et c’est ce qui fait sa force. Si on veut le boire dans un contexte casual, on peut le déguster plus léger en mizuwari ou sôdawari. D’ailleurs, en ce moment au Japon, il est souvent bu en sôdawari par les jeunes pour commencer la soirée, alors que c’était normalement plutôt à la bière que l’on trinquait. Quant aux personnes plus âgées, au-delà de 40 ans, c’est en oyuwari, mizuwari ou encore on the rocks qu’il est le plus couramment consommé, en fonction de ce qui plaît le plus à chacun et chacune. Le shôchû est à l’origine bu chez soi en prenant le dîner après une longue journée de travail ; c’est ce qu’on appelle la culture banshaku. Et dans ces circonstances, on le boit vraiment comme on veut ! C’est pour cela que nous ne voulons pas insister sur telle ou telle recommandation, et plutôt laisser les gens profiter de le boire comme ils l’aiment.
Avec quel type de plats aimez-vous accorder votre shôchû ?
Puisque c’est un shôchû que nous venons de créer et qui n’est pas encore commercialisé, j’aimerais vous le faire goûter et que vous me disiez ce qui est bon… (rires) De manière générale, les plats avec lesquels le shôchû se marie bien dépendent de la façon de le boire, mais une valeur sûre est la viande de porc. Je pense qu’il irait bien avec des huîtres, qui ont un goût assez prononcé, mais je n’ai pas encore essayé de les déguster ensemble alors je vous tiendrai au courant quand je l’aurai fait ou que j’aurai demandé à notre blender ! (rires)
Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous sur le site de Hamada Syuzou : https://www.hamadasyuzou.co.jp/en
G-Bridge : https://g-bridge.co.jp/en
Nous remercions Terumi Fujimura pour l’organisation et l’aide à l’interprétation de cet entretien.