France Sushi : Vous travaillez pour le bureau de représentation du département de Hyôgo. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail ?
Nobutaka Azuma : Je suis le directeur général du Bureau de Représentation du département de Hyôgo à Paris. On l’appelle aussi la préfecture de Hyôgo à cause de l’anglais prefecture, mais on dit officiellement « département » car nous avons trois niveaux administratifs au Japon : le niveau national, le niveau départemental et le niveau municipal.
Il y a 47 départements au Japon, Hyôgo est l’un des seuls à posséder son propre bureau en Europe. Nous l’avons ouvert en octobre 1993, il y a donc 30 ans ce mois-ci, afin de promouvoir les produits alimentaires, notamment le saké (notre spécialité), le tourisme de notre département, et d’aider les entreprises de Hyôgo à développer leur business en Europe. Nous organisons des échanges éducatifs entre lycée et entre universités, ainsi que des échanges culturels, par exemple en faisant venir à Paris des artistes de Hyôgo pour exposer, ou en mettant en relation des musées de Hyôgo et de France. Tous ces échanges entre Hyôgo, la France et même l’Europe donnent de très bons résultats !
Hyôgo est une très belle région surtout connue en France pour son bœuf de Kobe.
En effet, quand on parle de produits d’import japonais, on pense toujours au bœuf de Kobe de renommée mondiale et en majorité importé en Europe et aux États-Unis. Il est connu comme le meilleur wagyû, ou bœuf japonais. Celui-ci vient à l’origine du bœuf de Tajima (Tajima-ushi) élevé au nord de Hyôgo, qui représente génétiquement parlant 99,9% du wagyû. Le croisement du bœuf wagyû avec des bovins occidentaux a progressé dans tout le Japon depuis la modernisation. Cependant, dans le village d’Ojiro, dans la partie nord de Hyogo, un tel croisement n’a pas été effectué et des bovins wagyû purs sont restés de race pure et traditionnelle. Les éleveurs suivent avec attention les lignées depuis 100 ans, faisant ainsi le constat que mélanger les races japonaises et américaines provoque une baisse de qualité. C’est pour cette raison qu’ils ont choisi d’élever des purs Tajima-ushi. Aujourd’hui, le Centre de recherche départemental de l’élevage distribue les gènes de bovin pur de Tajima aux personnes souhaitant en élever.
Hyôgo est aussi connue pour la qualité de ses sakés, que vous présentez aujourd’hui lors d’un salon vinicole. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Notre spécialité est le saké car Hyôgo est connu comme un de ses lieux de naissance vers le Ve ou VIe siècle. Dans un recueil géographique compilé à l’époque de Nara 710 – 784), on raconte que lors d’un rassemblement de dieux dans un sanctuaire de Hyôgo, le saké a été créé par l’action de moisissures lorsque le riz séché a été réhydraté avec de l’eau. C’est également aujourd’hui le département qui produit le plus de saké au Japon, et donc du monde entier. C’est aussi à Hyôgo que furent développés le saké transparent (senshu) que l’on trouve aujourd’hui, plus précisément dans la ville d’Itami au début du XVIIe siècle, ainsi que la variété de riz à saké Yamada nishiki. Créé il y a 100 ans, son exploitation fut limitée, puis elle a été ouverte à tous. En vertu de la loi japonaise sur les semences et les semis, le nombre d’années de protection des droits de sélection varie en fonction de l’espèce. Dans le cas du riz à saké, cela est limité à 30 ans. Il est donc produit dans tous les départements, mais comme pour le bœuf de Tajima, c’est le centre de recherche agricole de Hyôgo qui distribue les semences originelles chaque année aux paysans, qui n’utilisent jamais des grains de leur propre production pour les planter l’année suivante. Aujourd’hui, la production Yamada Nishiki dans la préfecture de Hyogo représente 60 % de la production nationale. Tout est contrôlé à 100% par le département, ce qui permet de protéger la culture culinaire japonaise. Nous en sommes très fiers et peut-être que les Français aussi comprennent l’importance des contrôles pour maintenir une certaine qualité. Cela permet également à chaque région de développer son propre riz, conférant ainsi au saké une grande variété.
Hyôgo est également le seul département à compter deux marques de GI (équivalent de l’AOC), alors qu’il n’y en a normalement qu’une par département. Elles viennent des deux grandes régions de production de saké de Hyôgo : l’Est qui produit le GI Nadagogô et l’Ouest qui produit le GI Harima. Quand on parle de l’histoire du saké, on peut en fait commencer et finir par Hyôgo ; nous avons toujours été novateurs dans ce domaine.
Quel pourcentage de la production de Hyôgo est exporté vers le monde et vers la France ?
Je n’ai pas en tête les chiffres précis, mais nous étions auparavant toujours premiers, avant que ne nous dépasse le département de Yamaguchi plus au sud où se trouve la société Dassai, qui exporte en Europe et aux États-Unis. Nous produisons beaucoup de marques de saké au caractère unique. Le saké de Hyôgo, typiquement le Nada no saké, est dit masculin car il utilise une eau dite dure et donc riche en minéraux. C’est peut-être un peu difficile à boire pour des novices, qui préfèrent parfois les sakés floraux et doux, tandis que notre saké traditionnel pur dit masculin est assez fort, mais il accompagne très bien les repas. On peut prendre un saké floral si c’est simplement pour l’apéritif, mais nous aimerions que les Européens puissent connaître la qualité de notre saké lorsqu’il est bu pendant le repas. Qui, sinon les Français, pour marier mets et saké ? Nos produits sont désormais prêts à être découverts en France, car la période où les Français étaient débutants en saké est déjà finie, contrairement à l’Allemagne ou d’autres régions d’Europe. Le salon d’aujourd’hui est un événement très important pour nous car des invités de domaines de très haut niveau sont présents et nous souhaitons vivement faire découvrir notre saké et son histoire.
La France continue de découvrir le saké, on peut même en trouver en grandes surfaces. Quel est pour vous l’état du marché en France ? Quelle est l’étape suivante ?
Le saké reste spécial en France, ce n’est pas un produit que l’on consomme dans la vie de tous les jours. Quand je suis arrivé en France en avril, j’ai été invité par hasard au vernissage d’une galerie spécialisée dans les antiquités japonaises à Saint-Germain-des-Prés. Les invités français présents étaient des admirateurs du Japon et connaissaient bien le saké, je leur ai donc proposé d’organiser un vernissage ensemble en juin. Nous avons sélectionné pour l’occasion trois bouteilles de sakés très différents et trois fromages pour chaque bouteille. Nous voulions montrer comme notre saké se marie bien avec le fromage, que vous mangez presque tous les jours ! Le saké ne se boit pas que dans des restaurants japonais ou lors d’occasions spéciales, on peut aussi en consommer de manière plus quotidienne. Par exemple, si vous avez l’habitude de boire du vin blanc avec le fromage à la fin du repas, vous pourriez un jour choisir une bouteille de saké à la place, ou bien amener du saké lorsque vous êtes invité chez un ami. Dans d’autres pays européens surtout, le saké reste encore considéré comme un alcool très spécial, mais en France, il y a déjà beaucoup d’événements de promotion et de sommeliers qui s’y connaissent. La prochaine étape peut être de faire découvrir des sakés plus raffinés, mais aussi proposer une consommation plus quotidienne du saké.
Vous avez prévu plusieurs présentations sur Harima. Quels en seront les thèmes ?
Nous avons deux marques de GI à Hyôgo dont une à l’ouest, à Harima, où a été développé dans un premier temps le Yamada nishiki. Il est cultivé dans la région par plusieurs producteurs, dans plusieurs vallées ; le climat et l’eau sont donc presque les mêmes partout, et pourtant le goût change en fonction du Yamada nishiki utilisé ! Une étude a été menée sur le sujet, ce ne sont pas que les brasseurs qui le disent. Les brasseries de Harima ne sont pas aussi grandes et anciennes que celles de Nadagogô qui peuvent avoir jusqu’à 350 ans, mais les brasseurs de Harima adorent la vallée de Yamada nishiki, sont très méticuleux et des experts de leur variété de riz.
Les sakés que vous présentez aujourd’hui proviennent-ils plutôt de petits producteurs ou de grands producteurs ?
Du côté de Harima, ce sont des petits producteurs. À Nadagogô, il y a à la fois des petits et des grands. Mais beaucoup d’autres maisons de saké de régions variées utilisent notre Yamada nishiki et obtiennent même des prix, comme au concours Kura Master. Quand la liste des marques récompensées sort, je regarde d’abord les maisons de Hyôgo puis quelles autres bouteilles sélectionnées utilisent notre variété. Les producteurs de Hyôgo restent ceux qui connaissent le mieux le Yamada nishiki, son histoire, et fabriquent donc de bons sakés à la façon kimoto, une fabrication traditionnelle. Plus le saké vieillit, plus le goût va joliment évoluer. Nous avons remarqué que le Yamada nishiki donnait de très bons résultats dans les catégories Moto Classique et kimoto du concours.
L’Exposition universelle 2025 à Osaka sera évidemment un grand moment pour le Japon. Quelle est votre stratégie pour faire venir les touristes français dans le département de Hyôgo, qui est voisin d’Osaka ?
L’Exposition universelle 2025 est celle d’Osaka Kansai, c’est-à-dire non seulement d’Osaka, mais de toute la région, y compris Hyôgo, Kyoto, Nara… Nous aurons ainsi notre propre pavillon dans l’Expo. Nous avons beaucoup de sites touristiques majeurs, comme le château de Himeji qui a été l’un des quatre premiers sites du patrimoine japonais à être inscrit au patrimoine mondial en 1993. Cette année marque le 30ème anniversaire de l’enregistrement. Nous étions également présents au Salon du tourisme la semaine dernière, où nous avons présenté notre nouveau programme touristique à l’occasion de l’Expo : Hyogo Field Pavilion. L’idée, c’est de donner envie aux personnes venues à l’Expo de pousser plus loin leur visite de la région. Par exemple, si vous allez visiter le château de Himeji, comme le font généralement les touristes, nous pouvons vous proposer de rester un peu plus à Himeji et d’aller voir une maison d’entraînement de théâtre Nô, forme de théâtre japonais qui perdure depuis le XIVe siècle, qui n’est pas habituellement ouverte à la visite. Vous pourrez aussi peut-être embarquer un matin sur un bateau de pêche, ce qui n’est là encore pas possible en temps normal. Nous essayons d’encourager les locaux à accueillir les touristes pour leur montrer la richesse de leur culture. Nous avons finalement dressé 156 programmes. Vous pourriez aller voir comment on cultive le nori avec les producteurs en mer. Si vous allez au village bovin de Tajima, vous pouvez aussi être invité chez un éleveur pour manger chez lui de sa viande, voire y passer la nuit et, en échange, l’aider dans son travail le lendemain. Bien sûr, tous ces gens ne parlent souvent ni français ni anglais, donc un interprète pourra être présent lors de voyages organisés. Mais nous voulons encourager les locaux à accueillir même les particuliers et à essayer de communiquer, quitte à devoir dessiner. Avec leur hospitalité, c’est tout à fait possible. Plusieurs agences de voyages se sont montrées intéressées par ce programme. C’est l’occasion de voir les traditions et le quotidien des japonais. Les Français cherchent de plus en plus des expériences uniques et exceptionnelles, mais il est difficile de trouver et prendre contact avec ces sites locaux pour les agences françaises. Même pour les agences japonaises, car ils ne sont jamais ouverts aux touristes. Nous ne voulons pas rater cette chance, comme nous sommes juste à côté de l’Expo. Nous avons d’ores et déjà fait la promotion de notre concept en France, aux Etats-Unis et en Asie, et nous attendons avec impatience les contacts des agences de voyage.