France Sushi : Pouvez-vous nous parler de l’histoire de KAMA-ASA ?
Daisuke Kumazawa : Depuis que mon arrière-grand-père a ouvert la boutique en 1908, nous l’avons reprise de père en fils. Nous étions spécialisés dans les kama, des marmites en fonte de types variés : il y a celles qui servent à cuire le riz, d’autres les soba, d’autres encore sont plus grosses comme les hiragama… Puis avec le temps, nous avons commencé à vendre des ustensiles de cuisine en tout genre. Nous sommes aujourd’hui aussi spécialisés dans les couteaux qui sont même un des piliers du magasin.

Un des points sur lesquels vous mettez l’accent est d’apprendre aux client·es tout ce qu’il faut savoir sur ces ustensiles. Comment mettez-vous cela en place ?
Daisuke Kumazawa : Effectivement, nous ne voulons pas nous arrêter à la vente. Une part cruciale de notre travail est de donner aux client·es ce dont iels a besoin pour se servir de leurs ustensiles et les entretenir, mais aussi comment ils ont été créés, où, par qui et avec quelles idées en tête. Au départ, à la boutique de Kappabashi, nous voyions passer beaucoup de client·es français·es ou bien des Japonais·es qui travaillaient en France, avaient acheté des couteaux qui avaient fini par s’émousser et qui ne les utilisaient donc plus, alors qu’un couteau, il faut l’entretenir et l’affuter. Mais tout cela s’apprend et les client·es n’en avaient vraisemblablement pas eu l’occasion. Nous avons donc lancé, dans la boutique parisienne comme celle de Kappabashi, le service d’affûtage des couteaux des client·es ainsi que des cours ouverts à tous·tes pour apprendre à le faire soi-même.

Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir votre première boutique hors du Japon à Paris et non ailleurs ?
Daisuke Kumazawa : Quand il s’agit de cuisine, il n’y a pas mieux que Paris ! Si ça marche bien, Paris est un tremplin pour s’étendre ensuite. Nous avons commencé par la ville qui représente le plus gros challenge ; mais nous nous sommes dit que quitte à y aller, autant le faire à fond.

Quel bilan faites-vous du marché français 7 ans après l’ouverture ?
Daisuke Kumazawa : Je trouve qu’il est réceptif à ce que nous proposons. Surtout parmi les chef·fes, bien sûr, qui viennent du monde entier à Paris et connaissent la qualité des couteaux japonais.

Comment votre expérience dans la décoration d’intérieur aurait-elle influencé votre travail aujourd’hui ?
Daisuke Kumazawa : Je n’y ai jamais vraiment pensé. C’est vrai que, même si à première vue, ces mondes semblent éloignés l’un de l’autre, la cuisine, l’habillement et le logement sont en réalité liés. Tout entre dans la catégorie « style de vie ».

Nous entendions récemment dans une interview à quel point les univers de la mode et de la gastronomie sont liés, surtout à Paris. Avez-vous le même ressenti à Tōkyō ?
Daisuke Kumazawa : Oui, c’est le cas aussi au Japon. Il y a beaucoup d’événements qui allient les deux, voire ajoutent même de la musique. J’ai l’impression que ce n’était peut-être pas autant le cas avant, que chaque domaine était plus isolé. Mais tout le monde porte des vêtements, écoute de la musique et mange ; c’est tellement universel que ce lien donne forcément naissance à de nouvelles formes d’expression. Et c’est peut-être plus facile à faire aujourd’hui.

Comment KAMA-ASA a-t-il changé depuis que vous en êtes devenu président ?
Daisuke Kumazawa : Le magasin était jusque-là surtout destiné aux professionnel·les. Moi, je voulais vraiment élargir notre cible au plus grand nombre, car nous sommes fier·ères de notre travail, des outils que nous vendons et de leur qualité. J’avais aussi envie de mettre l’accent sur un aspect pédagogique qui permettrait aux utilisateur·ices de tout comprendre facilement dans un cadre bienveillant.

Les artisan·es avec qui vous travaillez aujourd’hui sont-iels les mêmes depuis les premières générations de KAMA-ASA ?
Daisuke Kumazawa : C’est le cas de certain·es, quand d’autres nous ont rejoint·es plus récemment, mais ce sont toutes des personnes qui partagent notre état d’esprit. C’est-à-dire celui de ne pas simplement vendre des objets et s’arrêter à cet aspect purement business, mais de faire notre travail jusqu’au bout et transmettre toute l’essence de nos ustensiles. C’est un bonheur de pouvoir faire tout ça avec des artisan·es qui comprennent nos idées et qui sont motivé·es pour les faire prendre vie. Iels sont de plus en plus nombreux·ses et nous vendons beaucoup de choses différentes : couteaux, nabe, cuiseurs-vapeur et passoires en bambou… Iels doivent être une centaine, aujourd’hui.

Quelles sont vos spécialités, en dehors des couteaux et des kama ?
Daisuke Kumazawa : En particulier les outils pour sumibiyaki. Ils étaient utilisés depuis longtemps au Japon uniquement par les restaurants de yakitori ou d’anguille à l’origine, mais maintenant, on en trouve partout, même dans les restaurants français ou italiens. Le Japon utilise dedans du charbon connu dans le monde entier, le binchōtan. Quand nous avons lancé le magasin de Paris, nous avons présenté nos grills parmis nos produits principaux. On nous disait que ça ne se vendrait jamais en France, mais en réalité, petit à petit, de plus en plus de gens et de restaurants se sont mis à les utiliser.

Faites-vous des commandes sur mesure ?
Daisuke Kumazawa : Oui, c’est d’ailleurs ce que nous faisons le mieux. À Tōkyō, on peut trouver toutes les infos dont on a besoin sur différents produits, mais on n’en est pas encore là en France. Nous voyons de plus en plus de gens nous acheter d’abord des modèles standards, puis ensuite des modèles sur mesure pensés pour leur cuisine.

Vos ateliers semblent plutôt abordables en termes de prix. Ont-ils du succès ?
Daisuke Kumazawa : Les cours se remplissent tout de suite. Nous pourrions les rendre plus chers, mais je voulais vraiment les rendre accessibles au plus grand monde. Après tout, tout le monde utilise des couteaux, alors ça vaut la peine d’apprendre à les aiguiser !

Votre nouvelle boutique a ouvert à New York fin avril. Avez-vous des projets dans d’autres pays ?
Daisuke Kumazawa : Nous n’y avons pas tellement réfléchi. Notre but n’est pas de nous installer dans le plus de pays possibles, mais de pouvoir transmettre notre message. Nous pourrons envisager d’ouvrir un magasin quelque part si nous pensons y trouver des personnes particulièrement réceptives, mais pour l’instant, nous en restons à Paris, la capitale de la gastronomie, et New York, où se rassemblent des gens du monde entier. Ce n’est pas une question de chiffres mais de transmission de valeurs.

Participez-vous à des événements autour de la gastronomie, comme des salons ou des expositions ?
Daisuke Kumazawa : Non, ça ne nous est arrivé qu’une fois jusqu’ici. Ce n’est pas évident car nous ne produisons pas en grande quantité, et que nous ne sommes que 3 à tout gérer sur la boutique parisienne (une directrice et deux vendeurs) alors que nous sommes une trentaine à Tōkyō. Mais cela nous plairait de participer à des expositions. À part nous 3, il y a 2 vendeurs à la boutique parisienne. Ce sont d’anciens chefs qui ont de l’expérience et qui peuvent tout expliquer et donner des conseils. Nous sommes à la recherche de ce genre de personnes et nous savons qu’il y a plein de jeunes très intéressé·es par les vieux établissements comme le nôtre.

Vous avez déjà ouvert des pop-up stores, dont un à Paris. Pensez-vous étendre cela à d’autres villes de France ?
Daisuke Kumazawa : J’y pense et j’aimerais bien le faire. Il y a mine de rien pas mal de gens qui ne peuvent pas se déplacer jusqu’à Paris. J’aimerais aussi pouvoir en ouvrir dans d’autres arrondissements de Paris. Mais pour l’instant, nous ne sommes pas encore assez connu·es, surtout hors du cercle des chef·fes. Donc avant de penser à aller dans d’autres pays, l’objectif est déjà d’atteindre plus de monde rien qu’à Paris. Je pense que ça pourrait être super intéressant de faire un pop-up store à des endroits qui font partie intégrante de notre vie quotidienne, tout comme les ustensiles de cuisine – par exemple les primeurs, poissonneries, boucheries, boulangeries, fromageries…

Vous appelez vos ustensiles de cuisine des « ustensiles sages » [les deux se prononcent ryōri dōgu]. Qu’entendez-vous par là ?
Daisuke Kumazawa : Nous utilisons cette expression pour désigner une autre façon de voir ces ustensiles. Le plus important pour nous n’est pas de les vendre, mais que les gens puissent les entretenir, les utiliser longtemps et se les approprier complètement. Par exemple, plus on utilise un couteau et plus on s’habitue à sa forme et mieux on apprend à l’aiguiser selon l’usage qu’on en fait. C’est ça, un outil. C’est quelque chose qui nous devient de plus en plus précieux et utile après 1, 2 voire 3 ans d’utilisation. Nous essayons d’aller à contre-courant de la tendance actuelle à acheter neuf puis à jeter dès que ce n’est plus aussi fonctionnel. C’est quelque chose qui nous vient en partie de la culture japonaise et qui parle aussi beaucoup en France. Pour revenir sur la question de pourquoi nous avons choisi Paris, ça en fait partie. Nous avions comme image des Français·es qu’iels appréciaient les choses anciennes et comprendraient particulièrement notre démarche.

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