Etude du bonheur
Que l’on tienne ou non en estime le petit livre rouge, on a toujours un joli pincement au cœur lorsqu’on apprend qu’un cuisinier sur lequel on garde l’œil depuis une petite dizaine d’année, a enfin accroché étoile à sa porte. Surtout lorsque le cuisiner en question s’appelle Keisuke Yamagishi, qu’il a un parcours en or, une grâce inouïe aux fourneaux et en dépit de tout cela, une incroyable humilité. Rappelons que Yamagishi a posé le pied en France il y huit ans. Huit ans déjà ! ou huit ans seulement ? selon que l’on se réfère à la période couverte ou au chemin qu’il a déjà parcouru sur la scène culinaire parisienne. Car force est de constater que cette poignée d’années a été activement mise à profit par le jeune cuisinier. La liste des établissements au sein desquels il a travaillé est courte mais exemplaire. Un an d’acclimatation à l’hexagone dans les cuisines de l’Agapé – période Bertrand Grébaud – suivi de trois années chez Abri, l’un des pionniers de la nouvelle vague japonaise de Paris.
Puis en 2013, c’est le grand saut. Il ouvre sa propre maison, Etude, un restaurant serein et clair à son image. Le nom du lieu lui-même – à la résonnance à la fois grave et musicale – sied à sa cuisine personnelle, tout à la fois millimétrée et poétique. Peu friands de l’agitation médiatique qui caractérise les premiers jours d’ouverture d’un établissement, nous avions pourtant répondu présents. Non par zèle professionnel, plutôt animé par une intuition gourmande toute personnelle. Cinq ans après, le souvenir d’assiettes lumineuses et toutes autant minimalistes que généreuses est toujours là. A la manière d’un Perec qui se serait entiché d’une certaine cuisine française made in Japan, on se souvient en particulier d’une mousse de pamplemousse et de son émulsion de panais. On se souvient aussi du soyeux de la langoustine en tartare et de son explosif corail d’oursin. On se souvient encore de la chaleur de ce jus de cassis poivré qui venait caresser doucement la poitrine d’un canard amoureusement grillé. On se souvient enfin de cette lotte, cuite à basse température, de sa façon de jouer des nageoires dans l’assiette avec une poignée de topinambours et de châtaignes, puis du final : l’égard appuyé du chrysanthème sur un simple sorbet citron vanille. Signature d’une épure essentielle. « La magique étude du bonheur que nul n’élude », écrivait Rimbaud.
Laurent Feneau
Crédit Photos et Source: Anne Jeandet Feneau