
Kazuya Koyama, en tant que spécialiste de la vinification, a ouvert la conférence avec une présentation scientifique détaillée nous expliquant les particularités du vin japonais et des raisins cultivés. Joris Fradet, vigneron aux multiples expériences en France comme à l’international, nous a quant à lui partagé ses observations faites lors de son séjour dans le vignoble japonais.


Les témoignages de deux spécialistes
Le Japon a développé des variétés de raisin uniques représentées notamment par le Kōshū et le Muscat Bailey A, explique Kazuya Koyama, qui ont donné naissance à de multiples types de vins grâce au progrès des technologies de vinification. Le Japon cultive aussi des cépages européens de qualité en ayant réussi à les faire s’adapter au climat japonais, ce qui demande beaucoup de recherche et de réflexion à cause de leur sensibilité à la pluie et à l’humidité. Joris Fradet ajoute, d’après sa récente expérience à Yamanashi, que les producteurs japonais ont donc développé plusieurs techniques pour préserver les différentes variétés de raisin de la pluie, notamment la culture en pergola avec des kasa individuellement posés sur chaque grappe. L’avantage de variétés comme le Kōshū est leur peau épaisse contenant beaucoup de tanins qui les mettent à l’abri des maladies. Il existe par ailleurs de nombreuses hybridations, comme le Kōshū et le Muscat Bailey A qui ont de la chair à la place du jus, parfois fabriquées par les vignerons eux-mêmes.


Un grand viticulteur de Chablis dit son admiration
« Il y a quelques années, j’ai découvert la production de vin à Yamanashi. Cela a été pour moi une énorme surprise de voir le travail incroyablement méticuleux et soigneux des viticulteurs japonais. Le résultat est un vin précis et net. La richesse aromatique est souvent stupéfiante et il n’y a jamais aucun faux goût. Les vignerons japonais travaillent avec un acharnement extraordinaire à produire de la qualité, parfois dans des conditions extrêmes de froid, comme à Hokkaidō, ou de chaleur, comme à Kyūshū. » Celui qui adresse de tels éloges aux viticulteurs japonais n’est pas n’importe qui : il s’agit de François Servin, du réputé Domaine Servin à Chablis (son 1er Cru Montée de Tonnerre est connu dans le monde entier), 7e génération de vignerons bourguignons, que nous avons rencontré au salon des viticulteurs japonais qui se tenait à la Maison de la Culture du Japon en février dernier.
Ils sont venus du Japon pour nous séduire !
Ils étaient 13 à être venus du Japon pour faire goûter leur vin à des professionnels, restaurateurs, sommeliers et importateurs potentiels, avec l’ambition d’exporter leur production en France, patrie du vin ! Tous ne se ressemblent pas, mais tous communient dans la même passion du vin et portent l’expansion incroyable de la viticulture au Japon où les surfaces plantées ont été multipliées par 10 en 10 ans.
Il y a celui qui est présent depuis fort longtemps sur le marché du vin local, comme Mercian, plus connu pour son commerce que pour son travail de vigneron, mais qui pourtant a lui aussi une production de qualité, le Château Mercian, issue de vignes diverses de la préfecture de Yamanashi et de cépages japonais comme son Kōshū Blanc 2022 et son Muscat Bailey A 2021 (rouge) qui se boivent d’autant plus facilement qu’ils titrent peu en alcool (11° et 11,5°).
L’audace et la ténacité du vigneron japonais
Les 12 autres sont de purs vignerons récoltants, le plus ancien étant probablement le domaine COCO FARM (Yamanashi) né en 1950. Les fondateurs de ce domaine ont eu l’audace – et le courage – de défricher une montagne pour y planter des ceps afin de profiter d’une exposition idéale. Ils ont réalisé un ouvrage titanesque que même les glissements de terrain – relativement fréquents du fait des tremblements de terre – et le climat très pluvieux qui oblige à chapeauter les grappes de petits parapluies – les kasa – n’ont pas su décourager. Comme s’ils avaient voulu se compliquer encore la tâche, les fondateurs de COCO FARM se sont dès le début interdit d’utiliser le moindre herbicide ou engrais chimique dans leurs vignes et de n’avoir recours pour la fermentation qu’à des levures ou bactéries japonaises. Des puristes ! Leur premier vin, issu du cépage japonais Muscat Bailey A, est un vin rouge soyeux, aromatique, et faiblement alcoolique (10,5°). Leur vin le plus populaire aujourd’hui est probablement leur Petit Manseng, un cépage blanc originaire du sud-ouest de la France, issu aussi des vignes de Kokoromi Gakuen, qui donne ici un vin vif, mais fruité, à boire bien frais.
Le Nana-Tsu-Mori : à tout seigneur, tout honneur…
Un transfuge de COCO FARM, où il a travaillé 10 ans comme maître de ferme, Takahiko Soga, issu lui-même d’une famille de vignerons de Nagano, est l’homme de la réussite la plus éclatante du vin japonais. Ancien chercheur en biologie, il a trouvé son modèle de vinification dans le Jura (vin blanc) et l’a appliqué à du Pinot Noir (rouge) ! Il a démarré en 2010, et dès 2015 il renonçait à l’utilisation du sulfite, tout en choisissant de presser ses grappes entières. Son vin, le Nana-Tsu-Mori, a conquis les sommeliers du monde entier. Au salon du vin japonais, son domaine de 4,6 hectares, situé dans la banlieue de Yoichi à Hokkaidō, était représenté par un jeune employé ayant quitté l’Australie pour venir faire du vin au domaine Takahiko. « À priori, dit-il, l’idée de planter du Pinot Noir à Hokkaidō, région nordique, pouvait paraître très audacieuse, voire un peu folle. Mais Takahiko-san a été visionnaire. Car il se trouve que le changement climatique a fait que, si en 2010 le climat de Yoichi était celui de la Champagne, 5 ans plus tard il se rapprochait de celui de l’Alsace et il est aujourd’hui celui de la Bourgogne, ce qui est idéal pour du Pinot Noir. » Sur la table du Domaine Takahiko trône, solitaire mais fière, une seule bouteille, le Nana-Tsu-Mori. La dégustation fait immédiatement penser à un très bon Côtes de Nuits, mais avec un caractère tout à fait original, avec son mélange de notes florales et forestières, et son étonnante longueur en bouche très élégante. Le prix s’en approche aussi ! Les 9 000 bouteilles de la production sont vendues pour 90% au Japon et 10% se retrouvent sur la table des 3 étoiles du monde entier.
Des paris climatiques
Dans le genre pari climatique, étaient présents trois viticulteurs des régions les plus chaudes du Japon, Ajimu Winery (Ōita), domaine tetta (Okayama) et Kitani Wine (Nara). Kazuto Kitani à double titre un cas à la fois à part et en même temps très représentatif de la nouvelle génération de vignerons japonais. Cas à part, car il est le plus jeune et le dernier venu dans le monde viticole japonais puisqu’il est né en 1989 et qu’il a démarré sa production en 2022. Souriant et jovial, il raconte son aventure : « J’étais un salary man typique, passé par une bonne université, celle de Kyōto, et travaillant dans la banque. Mais j’ai toujours aimé le vin, et à force de visiter des caves j’ai fini par rêver d’en faire mon métier. Mais je ne voulais pas quitter ma région natale, à laquelle je suis très attaché. Et un jour je me suis dit : mais pourquoi ne pas essayer de planter de la vigne à Nara ? Sans doute le climat est-il humide et très chaud en été, mais ce n’est peut-être pas insurmontable puisque d’autres réussissent dans des régions encore plus difficiles. » Après 3 ans de formation dans des domaines de la région d’Ōsaka, Kitani-san s’est lancé en 2022 en louant des vignes, 10 parcelles disséminées dans la région. Il achète aussi du raisin, comme le Kōshū, du viticulteur Takashi Yano localisé à Yamanashi. La vinification et l’élevage ont été réalisés par Kitani Wine, avec succès, ce Kōshū de 2023 (année exceptionnelle à Yamanashi) aux parfums de pamplemousse et de pêche ne présentant aucune âpreté et titrant 12,5°. Cependant, c’est sur sa propre vigne, située à Habikino, près d’Ōsaka, que Kitani produit un autre blanc avec le cépage Delaware (d’origine américaine). Kitani-san est particulièrement fier de son Delaware, frais et aromatique, mêlant saveurs de fruits (pêche, ananas notamment) et de… riz soufflé. Très nomi-yasui, il glisse presque un peu trop bien dans les gosiers assoiffés !
Les Ike, un couple uni dans l’aventure du vin !
Les aventuriers du vin viennent parfois en couple, comme Kazumi et Toshihiro Ike. « J’étais un ingénieur de Tōkyō, raconte Toshihiro, qui aimait le vin. Progressivement, j’ai été saisi par la passion du vin. Et puis j’ai entendu parler de jeunes qui se lançaient dans la production du vin, et je me suis dit : pourquoi pas moi ? J’ai convaincu ma femme qu’il y avait là un métier épanouissant et une place à prendre dans une activité en pleine expansion. » Toshihiro est d’abord venu étudier dans des fermes viticoles de la région de Nagano, avant de sauter le pas en 2010 en s’installant à Tōmi, où il a démarré sa culture des vignes en 2013, avant de produire enfin en 2016, puis de créer sa propre maison NAGOMI VINEYARDS (contraction de Nagano et Tōmi) en 2018. Depuis 2019, il fait son vin et le vend. Au bout de 14 ans d’efforts, le couple nous propose des vins qui ont l’intelligence d’être parfaitement adaptés à un public plutôt jeune par leur style, tel leur Grasshopper, un sauvignon légèrement frizzante – du fait d’une macération du jus avec les peaux, choix du vigneron – qui devrait plaire au public féminin et qui est en outre suffisamment bon marché pour se retrouver sur la table des izakayas parisiens. Le Pinot Noir bénéficie d’une bouteille bien stylée, au look moderne, et le contenu est à la fois doux et parfumé – sans faux goût comme dirait François Servin –, preuve que les grappes ont bien été minutieusement débarrassées, à la main, de tous les raisins douteux.
Kusunoki : une expertise acquise en Australie
Autre type de vigneron, scientifique et entrepreneur-exportateur à la fois, Shigeyuki Kusunoki de Kusunoki Winery. Il est présent à Paris et nous dit comment il a entrepris d’emblée des études d’œnologie et de viticulture à Adélaïde en Australie, enseignement qui attire, par sa proximité, de plus en plus de futurs viticulteurs japonais. « Je suis revenu à Nagano, ma région d’origine, et j’ai acquis en 2004 des terres que j’ai plantées de vignes, avec pour idée fixe : une qualité qui puisse conquérir le marché national et très vite passer à l’exportation. » Son Chardonnay a gagné la reconnaissance en étant choisi pour figurer à la table des ministres réunis pour le G7. Il nous fait déguster son Hitakihara, un assemblage de Sémillon et de Sauvignon, frais et fruité. La vigne a été plantée dans une région de Nagano qui produit des fruits réputés, et on n’en est pas étonné. C’est un très beau et bon vin. « Il est parfait pour accompagner des sashimis ou des sushis », nous dit Kusunoki-san. De fait, on regrette presque qu’il n’en ait pas prévu à nous servir, tant le mariage semble aller de soi ! Kusunoki-san est présent avec son vin qu’il promeut lui-même dans tous les grands salons asiatiques, avec succès apparemment…
Galice et Niigata : même climat, même « vin de la mer » !
Côté mariage des goûts, on regrette sur le stand de Fermier, le nom commercial de Honda Vineyards, qu’aucune huître n’ait été prévue pour accompagner leur vin blanc El Mar Albariño. Honda-san nous explique : « L’Albariño est un cépage espagnol dont le surnom est “le vin de la mer”. Je me suis rendu compte en allant en Galice que le climat et la façade maritime ressemblaient énormément à ceux de la région de Niigata, Echizenhama, où nous avons nos vignes et sommes établis depuis 2006. J’ai donc décidé de l’acclimater chez nous. Grâce au sol sablonneux, la vigne acquiert un goût unique. Aujourd’hui notre El Mar Albariño est connu et reconnu au Japon, et j’espère qu’il saura plaire aux amateurs français. Avec des fruits de mer, c’est superbe ! » Notre impression était donc la bonne !
La technique bourguignonne appliquée au Muscat Bailey A
Enfin, notre tournée des stands (incomplète, je m’en excuse) nous a emmené au stand d’un vigneron japonais barbu et francophone, où l’ambiance était plutôt joyeuse : le stand du domaine Diamond Winery, situé à Katsunuma, Yamanashi. Katsunuma est un très ancien village viticole, où en 1939 des viticulteurs se sont associés en une coopérative, devenue en 1963 Diamond Winery. Il s’agit en fait d’une affaire familiale, et le personnage présent sur le stand, Kiyoaki Yokouchi, n’est autre que l’héritier de ce domaine. Il a fait ses études d’œnologie à Beaune, et c’est donc dans la meilleure région de vin de France, la Bourgogne, qu’il a appris à faire du vin. Mais chose étonnante, il n’est pas revenu du pays du Pinot noir pour y faire pousser ce cépage. « Mon idée était de faire un vin de la qualité d’un bon Bourgogne avec nos cépages nationaux. » Défi apparemment difficile à relever, mais tout à fait réussi. Au Japon, depuis 2018, le vin de Diamond Winery récolte systématiquement 5 étoiles. Pour leur donner quand même une touche française, la gamme s’appelle Chanter. Ce que ce domaine arrive à faire avec du Muscat Bailey A est proprement enthousiasmant ! Vieilli 24 mois en fûts de chêne, le Chanter Y.A Huit a même quelque chose d’addictif…
Organisation
NTA : https://www.nta.go.jp/english
Yuki Eguchi Mansoux de Soleil Le Vin : https://soleillevin.com
Texte d’Emmanuel Pezé