
France Sushi : Nous nous sommes déjà rencontrés 2 fois, d’abord en février 2022 après l’obtention de la certification HACCP des huîtres de Hiroshima, puis en 2023 lors d’une présentation des produits de la préfecture. Aujourd’hui, nous aimerions faire un point sur l’évolution de la situation des huîtres et des sakés de Hiroshima, ainsi que discuter de vos projets futurs. Pour commencer par ces fameuses huîtres, quelle évolution avez-vous constatée depuis février 2022 ?
Hidehiko Yuzaki : En 2024, l’Europe importe 9,2 tonnes d’huîtres depuis Hiroshima. Et au total, ce sont 927 tonnes qui sont exportées dans le monde – les quantités restent donc encore relativement peu volumineuses en France et en Europe. Cependant, en 2023, l’exportation vers l’Union Européenne était de 4,2 tonnes, elle a donc presque doublé. C’est d’autant plus encourageant pour nous que les exportations vers le reste du monde ont atteint un plateau. Nous aimerions pouvoir exporter des huîtres crues à l’avenir, mais pour l’instant, le volume de production et les conditions de la réglementation HACCP ne nous permettent d’exporter que des huîtres congelées. Cela permettrait par exemple aux touristes français·es à Hiroshima, de plus en plus nombreux·ses, de continuer à déguster des huîtres de chez nous une fois revenu·es en France.
Comme vous l’avez très bien expliqué lors de votre prise de parole à Kura Master, la France et Hiroshima sont fortement liés puisque ce sont les huîtres d’Hiroshima qui ont permis en 1963 de sauver la filière ostréicole en France. Il est vrai que, traditionnellement, nous avons plutôt l’habitude de les manger crues alors qu’au Japon, on les mange plutôt cuites. C’est assez impressionnant de voir que même si l’exportation mondiale s’est stabilisée autour de 927 tonnes, la quantité exportée vers l’Europe a quasiment doublé par rapport à 2023. Quels sont vos objectifs pour l’Europe et notamment la France, étant donné que la France est un pays extrêmement producteur d’huîtres ?
Hidehiko Yuzaki : Les exportations ne sont pas encore suffisamment importantes pour définir des objectifs chiffrés concrets. Nous aimerions que les gens connaissent d’abord les huîtres de Hiroshima pour nous permettre d’envisager ensuite un objectif. En réalité, la capacité de production d’huîtres à Hiroshima a presque déjà atteint ses limites, car elles sont cultivées dans une mer intérieure et on ne peut produire qu’une certaine quantité dans une zone déterminée. Alors si on veut vraiment augmenter les exportations, il faut augmenter la production. Il faut aussi apprendre au public les différentes façons de manger ces huîtres. Comme cela, les producteur·ices qui produisent pour le marché japonais pourront envisager l’export, et la diversification des canaux de vente aidera à renforcer l’aspect économique. Comme la France est un des pays les plus consommateurs d’huître et à la production la plus développée, nous aimerions que les huîtres de Hiroshima y soient appréciées et s’y établissent comme une grande marque.
Vous avez commencé à travailler sur le saké en 2014, notamment en collaborant avec Dugas autour des Grands Sakés de Hiroshima, ce qui a vraiment contribué à leur succès. Y a-t-il des actions précises que vous souhaiteriez mettre en place autour des huîtres ?
Hidehiko Yuzaki : Nous avons commencé par le saké car l’alcool est relativement plus facile à gérer que les huîtres, du point de vue sanitaire. Nous nous sommes ensuite aussi tournés vers les huîtres pour aller plus loin dans la promotion des spécialités de Hiroshima. Par ailleurs, le saké va bien avec tous les fruits de mer, mais particulièrement avec les huîtres. Hiroshima regorge de choses délicieuses comme ça ! La nourriture est un des éléments les plus importants d’un voyage, et Hiroshima a justement beaucoup à offrir sur ce plan aussi. Mais nous n’en avons pas tout dit : il faudra y venir pour découvrir toutes les bonnes choses à manger de la région. Par exemple, le wagyû, déjà célèbre, est originaire des montagnes autour de Hiroshima. Il y a aussi le bœuf Hiba, proche du wagyû, fort en umami et plein d’acide oléique qui donne du goût à la graisse et est aussi bon pour la santé. Il y a aussi énormément de variétés de poissons à chair blanche. Et bien sûr, ces poissons vont parfaitement bien avec le saké de Hiroshima. Ces produits ne sortent presque pas de la région, ce sont des spécialités trouvables nulle part ailleurs. Actuellement, nous travaillons avec Nordic Seafood, une entreprise basée au Danemark qui vend nos huîtres en Europe. Apparemment, ils vendent plus en Angleterre qu’en France, maintenant. La France se fait distancer… (rires)
Ah oui, j’imagine ! C’est pareil pour le saké. Cela fait d’ailleurs 4 ans que vous travaillez avec la Fédération Régionale des Vignerons Indépendants de Bourgogne et du Jura. Quel retour avez-vous en salon ? Avez-vous remarqué un changement dans l’image du saké en France ?
Hidehiko Yuzaki : Je pense que l’image du saké a changé grâce au fait qu’on peut le goûter soi-même. En salon, j’ai vu un certain nombre de personnes qui pensaient que le saké était un alcool distillé et qui réalisent que c’est en fait très similaire au vin en goûtant. Et petit à petit, notamment grâce au travail que fait Dugas, je pense que la perception du saké devient progressivement plus correcte.
Cela fait maintenant 11 ans que vous travaillez avec Dugas, Kura Master aura 10 l’année prochaine et le Salon du Saké les a eus cette année. Quelle est pour vous l’évolution la plus importante par rapport au saké de Hiroshima, que ce soit en termes d’image ou en termes de volume d’exportation ? Comment voyez-vous son potentiel sur les 10 prochaines années ?
Hidehiko Yuzaki : C’est un sujet dont nous venons justement de discuter. Après le Covid, les exportations, qui étaient en hausse, se sont stabilisées. Le marché français de l’alcool a globalement diminué, pas juste au niveau du saké. Dans d’autres pays, les exportations augmentent drastiquement, donc en comparaison, leur niveau reste relativement bas en Europe. C’est une bonne nouvelle que d’avoir atteint un certain seuil stable, mais nous pensons qu’il est tout à fait possible de continuer à faire progresser le saké de Hiroshima ici. Alors comme vous le disiez, nous comptons définir des objectifs concrets à partir de maintenant et travailler à les atteindre, notamment en continuant à participer à des événements comme Kura Master.
Avez-vous remarqué des changements suite à l’inscription du saké à l’Unesco en octobre dernier ? Les producteur·ices au Japon ont-iels senti une évolution ? Cela aurait-il déclenché un nouvel engouement au niveau européen ?
Hidehiko Yuzaki : Il n’y pas eu de changement radical. Cela faisait quelque temps déjà que les exportations, en particulier vers les États-Unis, étaient en hausse. Cela a sûrement un lien avec le fait qu’on connaît de mieux en mieux la gastronomie japonaise.
Notre dernière question porte sur le tourisme. Cette année est particulièrement forte pour le Japon puisqu’il s’y déroule l’Exposition universelle, et Hiroshima fait partie du triangle d’or avec environ 230 000 touristes français·es en 2023. On parle souvent de sur-tourisme au Japon, et certaines villes, notamment Kyoto, essaient de limiter le nombre de touristes. À Hiroshima, rencontrez-vous ce problème ou y a-t-il plutôt une volonté d’intensifier le tourisme ?
Hidehiko Yuzaki : Je pense que nous avons encore de la marge. Les lieux très fréquentés de Hiroshima se limitent au mémorial de la Paix, son musée et Miyajima. Mais c’est différent du sur-tourisme, qui implique une nuisance pour les habitant·es, car dans le cas de Hiroshima, le tourisme ne les affecte pas vraiment. Le problème est surtout que les touristes ne peuvent pas profiter pleinement de leur visite de ces lieux. Nous mettons donc en place quelques mesures afin de limiter l’affluence et leur offrir une expérience plus agréable. Nous promouvons aussi d’autres activités plus tranquilles et qui permettent de profiter des beaux paysages japonais, comme le cyclisme, le kayak, le stand-up paddle…
Quel lieu nous conseillez-vous de visiter à Hiroshima, en dehors de Miyajima et du mémorial ?
Hidehiko Yuzaki : Je vous conseille vivement de prendre Shimanami-kaidô. C’est une voie sur la mer, très agréable aussi bien en voiture qu’à vélo. Elle fait partie des plus beaux trajets à vélo du monde. Tous les gens qui y vont sont subjugués !