© Nitta Textile Arts

France Sushi : Quelles sont les particularités de Nitta et ses tissus ?

Mayumi Nitta : La première particularité de notre atelier est que nous y réalisons tout le processus, de la teinture au tissage en passant par toutes les étapes intermédiaires. Il est courant que, à l’inverse, chaque étape soit traitée par une société différente : la teinture par un·e teinturier·ère, le tissage par un·e tisserand·e, etc., mais ce n’est pas le cas chez nous. La deuxième est que nous tissons une partie de nos étoffes d’une façon singulière qui donne ce motif de vagues, grâce à un réglage précis sur un métier à tisser qui le permet. Ce qui ressemble à de simples rayures de loin sur le tissu ressort à la lumière et apparaît comme des vagues scintillantes. Cela donne l’impression que le motif ondule avec le mouvement du tissu, alors qu’on ne fait pourtant que tisser des fils verticaux et horizontaux. Vous verrez que beaucoup des objets que nous exposons aujourd’hui sont faits de ce tissu.

France Sushi : Vous fabriquez non seulement des kimonos, mais également des objets du quotidien ou de décoration, comme des sacs, des éventails, des porte-cartes, des daruma… Pouvez-vous nous présenter ce que vous exposez pendant Japan Expo ?

Mayumi Nitta : Ces sacs nommés TaNé n’ont encore jamais été présentés, pas même au Japon. C’est ici, lors de cet événement, que nous les lançons ! Nous leur avons donné ce nom en nous inspirant du terme japonais tane signifiant « graine », car ces sacs représentent pour nous tout le potentiel de l’artisanat textile. Nous fabriquons en majorité des kimonos à partir de tissu de format kohaba, c’est-à-dire mesurant environ 38 à 39 centimètres de large, mais pour ces sacs, nous avons utilisé des pièces un peu plus larges. Nous tressons aussi nous-mêmes les cordelettes qui ferment les sacs. Le processus habituel du Yonezawa-ori – le tissage de la région de Yonezawa – commence par une première teinture des fibres, après laquelle vient le tissage, puis une nouvelle teinture du tissu, ce qui permet d’obtenir ce dégradé de couleurs foncées, intermédiaires et claires qui fait la beauté de l’objet. Nous avons travaillé dessus avec un·e designer extérieur·e, une première pour nous, qui a suggéré ce motif avec six couleurs principales pour la chaîne couplées à deux couleurs pour la trame. La technicité que requiert ce type de teinture est vraiment visible sur ces petits sacs.

Nous avons aussi amené des daruma, au nom inversé de MaruDa. Alors que les daruma sont la plupart du temps faits de washi, nous avons fabriqué ceux-ci à notre façon en leur faisant porter du tissu comme un kimono. Leur visage aussi est plutôt unique ! Leur petite taille leur permet d’être déposés où on le souhaite, et nous mettons un peu de plomb à l’intérieur pour qu’ils restent stables.

Parmi les objets que nous fabriquons habituellement, il y a ces éventails et porte-cartes façonnés par des artisan·es de Kyoto à partir de nos tissus. Chacun d’entre eux est complètement unique puisque les pièces de tissu avec lesquelles ils sont fabriqués le sont aussi.

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France Sushi : Est-ce la première fois que vous exposez en France ?

Mayumi Nitta : C’est la cinquième fois que je viens en France, mais c’est en effet ma première exposition, alors je suis à la fois nerveuse et excitée ! Je suis aussi très émue de lancer certaines de nos créations ici, à Paris. Le Japon compte plusieurs régions connues pour leurs tissus, et nous avions envie de venir faire connaître la nôtre, Yonezawa, ce que nous y fabriquons ainsi que la diversité de notre artisanat. Nous faisons bien sûr des kimonos, qui sont historiquement au centre de notre activité, mais il y a plein d’autres façons d’utiliser les tissus.

France Sushi : Vous utilisez principalement des teintures naturelles. Y en a-t-il auxquelles vous tenez particulièrement ?

Mayumi Nitta : Dans les années 1960, notre société, alors dans sa troisième génération, a commencé à utiliser le carthame, et sa fleur est aujourd’hui un des symboles du département de Yamagata. Elle teint les tissus d’un rose pâle qui s’assombrit et devient rouge à mesure qu’on répète le processus. Le carthame était utilisé dans l’Égypte antique, notamment pour teindre les bandages des momies, et il a traversé le monde jusqu’à arriver au Japon. Je trouve que l’histoire de cette technique de teinture a un côté très romantique ! Et en plus de cela, elle peut donner un rouge couleur sang magnifique et de nombreuses nuances selon la façon dont on l’utilise. C’est une teinture à laquelle nous recourons souvent. Nous faisons en sorte que les couleurs s’estompent le moins possible malgré une utilisation quotidienne en y appliquant aussi une teinture synthétique.

France Sushi : Vous avez travaillé avec l’artiste Yôichi Ochiai lors de l’événement Craft x Tech en 2024 sur l’œuvre Null-Beni-An. Il a monté une pièce japonaise traditionnelle où l’on boit le thé, sans mur, tenant seulement grâce au principe de tenségrité, et avec en lieu de mur un tissu Oitama-tsumugi teint de carthame de votre fabrication. En participant à cet événement dont l’intention était de mêler les arts japonais traditionnels à la technologie moderne, qu’avez-vous ressenti ? Ce contact entre les deux vous a-t-il inspiré de nouvelles perspectives ?

Mayumi Nitta : Je trouve que l’idée de Yôichi Ochiai d’une œuvre tenant debout uniquement grâce à la tenségrité était vraiment spéciale, et elle a superbement mis en valeur le tissu couleur carthame. Voir le tissu tombant sans forme spécifique, contrairement à tous les objets et vêtements que nous fabriquons, m’a permis de redécouvrir la beauté de la teinture au carthame, que ce soit dans la lumière ou l’obscurité. J’ai réalisé qu’il existe encore tout un tas de techniques à explorer en dehors de celles que nous connaissons et que, grâce au contact avec des créateur·ices ou designers comme Yôichi Ochiai, plein de possibilités d’utilisation des tissus s’offrent à nous.

France Sushi : Quels sont vos prochains projets ?

Mayumi Nitta : Après notre retour au Japon, nous avons prévu de rencontrer un·e artiste de Londres pour réfléchir ensemble à de nouvelles productions !

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