Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a amené à devenir chef en France.
Mitsunori Kozen : J’ai été chef pendant environ 30 ans au Japon, puis la cuisine japonaise est entrée au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco et ça m’a donné envie d’aller à l’étranger. J’ai commencé par Londres, au restaurant Cocoro. J’ai dû rentrer au Japon après 2 ans à cause d’un souci de visa, alors j’ai repris le travail là-bas tout en cherchant des opportunités en Europe pendant 1 an. Le restaurant japonais Kobe de la ville de Neuchâtel en Suisse m’a alors contacté et j’y ai travaillé 1 an, avant de rentrer encore une fois au Japon pour 2 ans où j’ai été chef dans des izakayas et des auberges Ooedo Onsen Monogatari. Et pendant ce temps, je me disais que j’aimerais bien aller en France… J’avais du mal à dénicher des opportunités, quand le restaurant You de la rue Saint-Anne m’a contacté. Mais mon visa a mis à nouveau 1 an à être approuvé, alors j’ai enchaîné les emplois ici et là. Cette période a été un peu compliquée, mais j’ai enfin pu venir à Paris en 2019.

Pourquoi avoir choisi de venir travailler en Europe, et en France en particulier ?
Mitsunori Kozen : J’ai toujours admiré la culture européenne avec ses cafés etc., et habiter Londres puis la Suisse a fini de me convaincre que c’était en Europe que je me sentais le mieux. Rentrer au Japon par la suite a été plutôt rude. Je comprenais à nouveau tout autour de moi, et le côté méticuleux des Japonais·es a du bon, mais il m’embête aussi un peu. Puisque c’est en Europe que j’aimais être, j’ai ensuite choisi Paris – et pas par hasard, c’est la capitale de la gastronomie, après tout. Et puis la nourriture japonaise commençait à être bien connue.

Comment êtes-vous devenu chef à iRASSHAi ?
Mitsunori Kozen : Hiro Masayuki que je connaissais est venu me voir avec mon partenaire à mon ancien restaurant pour me proposer une offre. Le lieu est splendide et je n’ai pas pu refuser une telle proposition ! La cuisine est immense, tout équipée… C’est idéal.

BIWAN ne rentre ni complètement dans la catégorie de la cuisine kaiseki, ni dans la cuisine d’izakaya. Pouvez-vous nous en dire plus sur le concept du restaurant ?
Mitsunori Kozen : Je faisais de la cuisine kaiseki à l’origine et l’idée de BIWAN était au départ celle d’un izakaya haut de gamme. Mais en pratique, tenir un izakaya est vraiment difficile. Les commandes fusent de partout, il faut une équipe nombreuse… Alors nous avons décidé de commencer par proposer des repas de plusieurs services avec les ingrédients et les plats que nous avions prévus et de voir comment les choses évolueraient. Les réactions ont été très positives, alors nous n’avons finalement rien changé.

Comment le menu change-t-il selon les mois et les saisons ?
Mitsunori Kozen : Au sein d’une même saison, les ingrédients restent sensiblement les mêmes, alors j’utilise les mêmes que le mois précédent mais en variant la manière de les préparer, par exemple. Puis quand arrive le changement de saison, j’ajoute à mes plats les nouveaux ingrédients de façon à ce que tout se marie harmonieusement.

Utilisez-vous des produits locaux de France ou faites-vous venir le nécessaire du Japon ?
Mitsunori Kozen : On peut tout à fait importer des produits du Japon, mais je ne pense pas que ce soit absolument nécessaire pour faire de la bonne cuisine japonaise. Je tiens à me servir des ingrédients disponibles là où je suis. Je le faisais à Londres, en Suisse et je continue ici à Paris. Il est tout à fait possible d’y trouver des ingrédients similaires. La question est ensuite simplement de les travailler de manière à en tirer des plats au caractère japonais. Cette adaptabilité est un point essentiel de la cuisine japonaise que j’aimerais transmettre ici.

Est-ce difficile à réaliser, de retrouver les saveurs et autres aspects qui font toute la nature de ces plats ?
Mitsunori Kozen : On peut dire ça, mais c’est un peu plus compliqué. Prenez le daikon : selon la saison au Japon, il sera tantôt sec, tantôt dur ou encore fibreux, et c’est en hiver qu’il devient tendre et vraiment bon. Alors oui, les plats changent forcément selon la région et la saison, mais pour moi, c’est ça, la cuisine : une pratique qui n’est pas figée dans le marbre.

Diriez-vous de votre cuisine qu’elle est plutôt moderne ou plutôt traditionnelle ?
Mitsunori Kozen : Un peu entre les deux. Je vais préparer des plats typiquement japonais comme du goma-dōfu ou des tempuras et en adapter très légèrement l’expression pour m’approcher de ce qui plaît aux Européen·nes. Je dirais que j’essaie de trouver un équilibre entre cuisine innovante et traditionnelle.

Pourrait-on parler de cuisine « fusion » entre France et Japon ?
Mitsunori Kozen : Je tiens personnellement à rester dans le cadre de la cuisine japonaise, ce n’est pas du tout de la fusion. C’est même un terme assez ambigu, en réalité. Il peut désigner aussi bien une cuisine à la française avec des aliments japonais, qu’une cuisine qui utilise des techniques traditionnelles japonaises mais dont l’expression est très française. La mienne ne rentre dans aucune de ces définitions, puisque je fais de la cuisine tout à fait japonaise en en changeant vraiment légèrement l’expression.

En quoi ce changement consiste-t-il ?
Mitsunori Kozen : Le goma-dōfu par exemple se sert habituellement couvert de sauce soja pure ou en wari-jōyu qui sont liquides, mais ici, je prépare la sauce en une version plus épaisse avec laquelle dessiner un motif. Cette façon de présenter le plat est plutôt française, pas du tout japonaise, mais le goma-dōfu en lui-même est tout à fait traditionnel. C’est là la subtilité.

Vous avez aussi travaillé chez Cocoro à Londres ou encore chez Kura à Paris. Quelle différence remarquez-vous avec vos précédents établissements ?
Mitsunori Kozen : Tout d’abord, que BIWAN est le plus grand avec ses 70 couverts. Ensuite, j’ai remarqué à Cocoro et Kura, qui servent de la cuisine kaiseki traditionnelle, que c’est un type de gastronomie qui a du mal à se faire apprécier comme une cuisine de grande qualité. C’est pour cela que j’ai choisi ici d’essayer de me rapprocher des client·es en changeant un peu la présentation de mes plats tout en restant proche du Japon. Je crois que ça a l’effet escompté et que ma cuisine correspond aux attentes des client·es.

Quel genre d’expérience viennent chercher les client·es de BIWAN ?
Mitsunori Kozen : D’après les retours que nous recevons, c’est avant tout d’avoir le sentiment de voyager au Japon. Les client·es veulent retrouver les plats qu’ils et elles connaissent, et c’est pourquoi je veux proposer une cuisine authentique.

Que souhaitez-vous transmettre aux personnes qui liront cet entretien et qui iront à BIWAN ?
Mitsunori Kozen : Je suis venu travailler en Europe pour trois raisons. La première est simplement que j’en avais envie. Mais aussi afin d’y laisser une trace des techniques traditionnelles de la cuisine japonaise et de la façon de penser qui l’accompagne. Même si bien sûr, ma façon de penser n’est pas absolue et tout le monde en a une différente. Enfin, il y a un certain nombre de restaurants japonais dont les chef·fes ne sont pas japonais·es, ce qui implique malgré tout que les méthodes utilisées peuvent différer un peu de la tradition. Alors je voudrais permettre aux gens de faire l’expérience de ce qu’est la véritable cuisine japonaise traditionnelle.

Informations

40 rue du Louvre, 75001 Paris
Ouvert du mardi au samedi de 19h à 22h
Menu unique à 55€ avec option végétarienne

Site internet : https://irasshai.co/pages/biwan-la-table
Téléphone : 01 84 74 35 30
Mail : restaurant@irasshai.co

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