
France Sushi : Nara possède une riche histoire culturelle et gastronomique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Katsunori Tsuji : Nara était la capitale du Japon il y a 1300 ans, quand la nation « Japon » a été créée. Le pouvoir politique du pays a ensuite été déplacé à Kyōto puis Tōkyō, mais Nara reste encore aujourd’hui un foyer spirituel majeur, comme en témoigne par exemple le Grand Bouddha construit à l’époque. C’est dans ce contexte culturel qu’est né le seishu, un saké particulièrement pur à l’origine utilisé plus comme une offrande aux déités que comme une boisson habituelle. Nous le buvons aujourd’hui, bien sûr, mais le saké était tout d’abord un moyen de montrer son respect envers les déités et le Bouddha dans ce centre spirituel qu’était Nara il y a 1300 ans, et les brasseries de la région en ont fait perdurer les techniques de fabrication jusqu’à maintenant. Les gens de la région de Nara qui avaient envie de revitaliser cette tradition ont donc bâti des sakagura. C’est un saké très difficile à produire. Ça demande beaucoup de temps, car on n’utilise pas la méthode sokujō, plus rapide et qui consiste à ajouter de l’acide lactique pour favoriser la fermentation – tout est fait naturellement. De plus, la fabrication elle-même étant compliquée, on ne peut pas en produire en grande quantité. Alors pour en boire, il faut aller à Nara !
C’est donc une spécialité qu’on ne trouve vraiment nulle part ailleurs ?
Katsunori Tsuji : Nous en vendons un peu en ligne, mais la quantité n’est vraiment pas suffisante pour aller au-delà de la région. C’est par ailleurs sur le mont Miwa que se trouve le Oomiwa-jinja, un des plus vieux sanctuaires du Japon, où l’on conserve les goshintai de la déité du saké. C’est là que la tradition des sugidama, boules de branches de cèdre qu’on accroche devant les sakagura au début de la fermentation, serait née. Elles sont d’abord vertes et deviennent finalement marron, indiquant que le saké est prêt à être bu. Les sugidama ne sont pas brevetées par le sanctuaire Oomiwa, donc on peut en fabriquer n’importe où, mais les brasseries à travers le Japon en commandent à ce sanctuaire qui abrite la déité du saké, espérant que cela les aidera à faire un bon saké. Nara est donc un peu la terre sainte du saké. Il y a une grande production de saké dans les régions connues pour leur riz, comme Niigata ou Hyōgo. On trouve d’ailleurs assez facilement du saké de Niigata à Paris car la région bénéficie de la présence de grandes entreprises. En comparaison, la seule sakagura à s’être vraiment industrialisée à Nara étant Umenoyado, la production est limitée et on ne peut pas exporter en grande quantité. Ce que nous voulons transmettre au public étranger, c’est que le saké de Nara, bien qu’il soit fait à partir de techniques spécifiques et d’ingrédients soigneusement sélectionnés, n’est pas si différent des autres en termes de techniques de production et de matières premières, mais qu’il est unique en ce qu’il permet de vivre l’expérience de la culture et de l’histoire de cette région qui l’a vu naître.
Vous nous présentez aujourd’hui un mikanshu, liqueur de mandarine Satsuma, produit par Umenoyado. Est-ce une spécialité du département de Nara ?
Katsunori Tsuji : Ce n’est pas une spécialité locale, mais simplement une des boissons d’Umenoyado.
Tatsuya Koyama : Le leur est sûrement le plus populaire au Japon. Les client·es le trouvent facile à boire et il n’est pas très fort en alcool, autour de 7%. Que ce soit en France ou au Japon, la consommation d’alcool diminue chez les plus jeunes, mais ce genre de boisson moins forte plaît bien comme apéritif. Le côté fruité est aussi très agréable en bouche.
C’est vrai qu’on douterait presque que ça contient de l’alcool. C’est doux comme un jus de fruit, tout en ayant une profondeur de goût révélée par l’alcool.
Katsunori Tsuji : Umenoyado a par ailleurs été rénovée et on peut maintenant visiter les lieux pour comprendre la fabrication traditionnelle du saké. On peut même y acheter du saké fraîchement brassé. Umenoyado a aussi aménagé un petit espace caché de 7 ou 8 places où l’on peut déguster des plats locaux préparés par des chef·fes de la région et accompagnés des sakés ou liqueurs de son choix. Les artisan·es d’Umenoyado ont très envie de partager tout cela, alors il ne faut pas hésiter à réserver sa place et à leur rendre visite. Puisque leur mikanshu plaît ici, ce serait l’occasion de le boire directement à la source tout en dégustant des plats locaux. Il faut juste garder en tête que c’est un peu loin de la gare et qu’il faut prendre une voiture ou un bus pour s’y rendre.
Beaucoup de Français·es commencent à s’intéresser au Japon par l’intermédiaire de sa gastronomie. Mettez-vous beaucoup l’accent sur ça pour attirer les touristes à Nara ?
Katsunori Tsuji : On entend énormément de français au parc de Nara, et bien sûr plein d’autres langues. Je dirais que 90% des visiteur·euses du parc viennent de l’étranger. Pourtant, la plupart font l’aller-retour dans la journée et rentrent manger et dormir le soir à Ōsaka ou Kyōto, ne prenant pas le temps de découvrir le reste de la ville. Comme vous le dites, les repas sont très importants : une grande partie du voyage consiste en ce qu’on mange. Et on ne mange pas la même chose à Tōkyō qu’à Ōsaka ou à Nara. Nous aimerions que les gens aient envie de découvrir les plats de Nara et y séjournent quelque temps. Nara n’est pas une ville côtière et n’a pas beaucoup de spécialités particulières, mais cela vaut vraiment la peine de déguster son saké, ses fruits et légumes locaux, ou par exemple les kakinoha-zushi, ces sushis enroulés dans une feuille de kaki. Celle-ci ayant des propriétés antibactériennes, elle empêche la formation de moisissure. C’est un ancien moyen de conservation des aliments qui permet de profiter de produits de la mer, conservés dans du sel pendant leur acheminement jusqu’à Nara, puis formés en sushis et entourés d’une feuille de kaki pour les préserver encore plus longtemps. C’est un mets qui fait partie des bentō des familles depuis bien longtemps et qu’on peut manger toute l’année.
Récemment, des villes comme Kyōto subissent le sur-tourisme. Pourrait-on désengorger vers Nara ?
Katsunori Tsuji : Mis à part le parc, Nara est encore assez calme et peu fréquentée par les touristes. La possibilité de visiter Umenoyado, accessible en 40 à 50 minutes en voiture depuis Nara, est aussi attractive puisque les liqueurs ont tendance à être populaires et que peu de gens connaissent la brasserie. L’agrume mikan étant encore différent de la mandarine trouvable en France, ce qui fait quelque chose de nouveau à découvrir, comme avec le yuzu !
Comment développez-vous l’attractivité du département de Nara, au-delà de la ville, pour donner envie aux touristes de sortir de la golden route ?
C’est compliqué de parler du département entier car l’histoire et la culture sont différentes de lieu en lieu. Par exemple, on y trouve une partie de la plus ancienne route recensée au Japon, la route de Yamanobe, utilisée depuis 1300 ans et encore aujourd’hui. Nous mettons de plus en plus en avant les particularités de ces régions que traverse la route dans nos campagnes de promotion. Jusqu’ici, celles-ci se concentrait vraiment sur les sanctuaires et les temples, alors l’objectif est de changer de direction et de mettre l’accent sur la gastronomie, les alcools, etc. Après tout, tout le monde n’est pas passionné·e de temples et sanctuaires, et beaucoup sont satisfait·es en ayant vu ceux de Kyōto. Il y a assez d’infos à ce sujet pour les personnes que ça intéresse. Nous voudrions maintenant toucher les autres en leur proposant une façon de visiter la région autrement et de découvrir des aspects moins connus de la culture japonaise. Aujourd’hui, c’est sur le saké que nous concentrons nos efforts. Les montagnes autour d’Umenoyado sont un lieu où le shugendō, la pratique qui consiste à suivre un entraînement en montagne, est très actif. Cela aussi fait partie de l’histoire derrière la fabrication de saké dans cette région.
En combien de temps peut-on y aller depuis Nara ?
Katsunori Tsuji : Ça prend 40 à 50 minutes en voiture. Ce n’est pas accessible seulement en train?
Quels services ou mesures mettez-vous en place pour faciliter et promouvoir la visite de la région de Nara ?
Katsunori Tsuji : Il n’y a pas d’aides particulières. Nous nous concentrons vraiment sur les campagnes de promotion auprès des médias étrangers et influenceur·euses, qui à leur tour transmettront les informations au public. Du côté B2C, nous ne pouvons pas agir beaucoup nous-mêmes, mais nous proposons d’accompagner les chef·fes français·es qui ont envie d’en apprendre plus au sujet de Nara. Nous avons aussi créé un passe pour suivre un circuit ferroviaire qui permet de visiter plusieurs sakagura avec trajets illimités pendant 2 jours. On peut visiter 3 brasseries de la région, mais aussi recevoir des échantillons de 350ml de la part de celles qui ne sont pas ouvertes à la visite. Le passe est en phase de test depuis janvier, et si tout se passe bien, ce qui semble être le cas, il sera plus largement ouvert à partir d’avril. Et s’il a du succès parmi les Japonais·es, nous le proposerons aussi aux personnes de l’étranger.
Quel sont l’état des ventes de Galerie K sur les produits d’Umenoyado et les retours que vous avez ?
Tatsuya Koyama : Le yuzushu est de loin le plus populaire, avec actuellement 12 000 bouteilles par an, ce qui représente une multiplication des ventes par environ 1,3 par rapport à avant. Il est fabriqué spécialement pour nous dans des cuves séparées, notamment à cause des réglementations fiscales sur les prémix qui font que nous devons augmenter légèrement le taux d’alcool. Ça nous permet aussi d’ajuster le yuzushu les retours des sommelier·ères, ce à quoi travaille Kei Miyagawa, qui le trouvaient peut-être trop sucré et en souhaitaient une version plus acide. On voit beaucoup de gens à qui le saké ne plaît pas mais qui deviennent fans de yuzushu. Les liqueurs ont l’avantage d’être faciles à aborder et à intégrer au repas. D’ailleurs, Umenoyado doit être le seul producteur spécialisé dans la liqueur, quand une grande partie des producteurs n’en fabrique qu’à côté de la production de saké.
Qu’avez-vous prévu à l’approche de l’Exposition Universelle d’Ōsaka ?
Katsunori Tsuji : Puisque les hôtels autour du site sont déjà pleins et que celui-ci est accessible depuis Nara en moins d’1 heure, nous avons lancé une campagne de promotion en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie qui propose aux visiteur·euses de séjourner à Nara pendant leur visite de l’Exposition. Nous ne sommes pas dans l’idée de faire rivaliser Nara avec l’Exposition, mais de donner l’occasion aux personnes qui s’y rendent de profiter aussi de Nara au passage. Une des organisatrices de l’événement est la réalisatrice Naomi Kawase, originaire du département de Nara, et elle participe justement à ces efforts de promotion. Elle a par exemple réalisé un film sur le quotidien des habitant·es de la région montagneuse au sud de la ville, et ce film sera diffusé dans l’enceinte de l’Exposition. Il donne l’occasion de voir la région de Nara à travers ses habitant·es et leur vie et de se faire une idée de son charme. Il sera aussi visible sur YouTube. Lors de l’Exposition universelle, il y aura également des spectacles de pratiques traditionnelles qu’on ne peut normalement voir qu’à Nara, comme du nō (originaire de Nara), ou encore du sarugaku (l’ancêtre du nō), du taiko, peut-être une démonstration de fabrication de saké, ou encore une exposition sur le saké à Nara.