
France Sushi : Comment avez-vous fait vos choix, parmi toutes les variétés de thés qui existent au Japon, pour décider de ce que vous vendriez en France ?
Naomi Yamanaka : En France, il y a beaucoup de thés, mais j’ai l’impression qu’il y a aussi beaucoup de mélanges. Par exemple, on peut mélanger une première récolte et une troisième récolte pour équilibrer le goût. On trouve aussi beaucoup de thés aromatisés. Moi, je me focalise sur l’importation de thés mono variétés. La traçabilité est très claire, ce qui est important pour moi. Je sélectionne plutôt des thés très doux, car quand je travaillais dans une maison de thé avant de monter Shôbi, j’ai remarqué que la clientèle française avait du mal avec l’amertume. Alors je me suis tournée vers du thé pas trop amer, mais qui garde en même temps un côté végétal qui reste longtemps en bouche.

La traçabilité est devenue essentielle en effet, au même titre que la qualité des produits. Comment sélectionnez-vous vos thés ?
Naomi Yamanaka : Je travaille avec quatre producteur·ices, maintenant. Je me concentre sur des thés sans pesticides, idéalement avec le label JAS [Japanese Agricultural Standards], la certification biologique japonaise. Je n’ai pas encore le certificat européen car il est compliqué de trouver des thés qui répondent à tous les critères au Japon. Mais moi, j’aime beaucoup visiter les champs de thé et j’ai voyagé pour goûter les thés moi-même. Ce que je sélectionne actuellement, ce sont de vrais coups de cœur. Des thés doux, sans amertume, avec des notes umami et qui ont une belle longueur en bouche. Par exemple, j’ai fait le tour de Kagoshima, sur l’île de Kyûshû, pour goûter plusieurs thés chez les producteur·ices. J’ai observé leur processus, leur manière de cultiver le thé, et j’ai sélectionné des gens qui travaillent avec des engrais organiques comme du fumier, de l’engrais de champignons ou de poisson. Cela a un vrai impact au niveau du goût, l’engrais choisi est très important quand on cultive des théiers. La difficulté avec les mono variétés, c’est que chaque année, le goût change, comme le vin ! C’est donc un peu difficile d’obtenir tout le temps le même goût, mais c’est aussi ce qui est intéressant. Chaque récolte apporte une subtilité différente de la précédente.

De quelle(s) région(s) du Japon vos thés viennent-ils ?
Naomi Yamanaka : La majorité de ma sélection provient de Kagoshima. Pourquoi Kagoshima ? Parce que c’est là-bas que la récolte de l’année est faite en premier, c’est-à-dire que les théiers restent moins longtemps au soleil qu’ailleurs. C’est ce qui rend les thés de Kagoshima si doux et peu amers. C’est pour cela que j’ai essayé d’aller à Kagoshima d’abord, c’est quelque chose qui me plaît bien. Par exemple, le matcha contient toujours un peu d’amertume, mais on y trouve aussi une certaine douceur. C’est parce que, deux ou trois semaines avant la récolte, on couvre les théiers avec des bâches.


Vous proposez des types de thés variés : du matcha, des infusions de sarrasin, du thé au yuzu… Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre catalogue ?
Naomi Yamanaka : Tout d’abord, l’appellation « matcha » n’est pas contrôlée, ce qui signifie qu’on peut appeler n’importe quelle poudre « matcha ». Il faut donc faire attention. Personnellement, je sélectionne des matchas cérémoniaux et premiums. Ou en tout cas leur équivalent, car ce sont des dénominations occidentales qui n’existent pas au Japon, utilisées par les entreprises exclusivement auprès de la clientèle non-japonaise pour lui permettre de se faire une idée du prix et de la qualité. Je sélectionne donc des matchas de cette qualité et qui ne sont pas trop amers. On peut même les préparer en koicha, un matcha épais presque comme du chocolat fondu, en utilisant 4 g de matcha au lieu de 2. Et pour la version habituelle plus légère et mousseuse, usucha, c’est 2 g de matcha et 60 ml d’eau à 85 °C maximum. Personnellement, je le bois pur, car cela permet d’en découvrir toutes les saveurs, de ressentir la manière dont il a été cultivé, de voyager dans les champs de thé au Japon.

Je propose aussi du thé vert au yuzu. On peut en trouver un peu partout, mais à maximum 5 % de yuzu – en tout cas, parmi ceux que j’ai vus sur le marché. Celui de Shôbi est à 15 % d’écorce de yuzu, ce qui est assez rare. On sent bien la fraîcheur du yuzu et le côté très végétal du sencha. C’est un thé très doux qui danse dans la bouche.
Pour les thés verts, il y a le sencha qui est tout en douceur aussi, ainsi que le gyokuro, très connu à Kyôto et dont la production est assez faible. Je fais ma sélection parmi des thés produits en petites quantités et mono variétés, ce qui les rend encore plus rares.
J’ai aussi des infusions, comme l’orge grillé, le mugicha, qui évoque des notes de café. J’en sélectionne de très concentrés, car au Japon, on trouve toujours des sachets individuels à infuser dans une carafe, mais c’est assez léger. On ne sent pas beaucoup le goût de l’orge et son côté café. D’ailleurs, l’orge vient d’Italie et, à l’époque où ce n’était pas possible d’importer du café, on buvait du café d’orge. C’est pour cela que je pense que les Français·es doivent déjà en être familier·ères et sauront apprécier cette infusion.

Quels sont vos produits les plus populaires en France ?
Naomi Yamanaka : Le thé au yuzu, comme le matcha, fonctionne bien. Il plaît aux gens qui aiment le yuzu et son acidité subtile un peu différente du citron. On m’a aussi beaucoup demandé l’infusion de sarrasin. J’imagine que c’est aussi un goût que vous connaissez déjà, notamment en Bretagne, avec les galettes. C’est une saveur que l’on peut rattacher à la culture française aussi.
Avez-vous prévu d’étendre votre offre ou souhaitez-vous rester sur une quantité limitée de ces thés méticuleusement choisis ?
Naomi Yamanaka : Pour l’instant, je me concentre sur ce que j’ai déjà, ce qui me permettra de voir quel type de thé plaît ou pas. J’aimerais bien développer le catalogue en fonction des retours. Par exemple, comme le yuzu est à la mode, pourquoi pas importer du matcha au yuzu ? Tout en restant sur quelque chose qui ne cache pas trop le matcha, bien sûr !

Vous proposez aussi des céramiques et des ustensiles pour préparer et déguster le thé.
Naomi Yamanaka : Oui, je les choisis un peu partout au Japon. Par exemple, il y a des boîtes et cuillères à thé en bois de cerisier qui proviennent d’Akita, une région très connue pour ses cerisiers où beaucoup d’artisan·es travaillent avec leur écorce. C’est respectueux de l’environnement car on n’utilise que l’écorce sans avoir besoin de couper les arbres. C’est un travail de longue haleine pour donner leur forme à ces objets et j’aimerais beaucoup le faire connaître plus largement. Les objets peuvent coûter assez cher, mais à force d’être manipulés au fil des ans et à cause du sébum produit par les mains, leur couleur change. On peut tout à fait acheter un article moins cher et, s’il se casse ou si on ne l’aime pas, changer assez rapidement. Mais ce que j’aimerais bien transmettre, c’est qu’un objet, ça peut se garder longtemps et changer d’apparence au fil du temps – on s’y attache. Et puis, il y a un·e artisan·e derrière. C’est particulièrement important de soutenir l’artisanat aujourd’hui car il vieillit et peu de jeunes veulent reprendre ces métiers.

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers vos produits ?
Naomi Yamanaka : La vie quotidienne est agitée. Il faut prendre le temps, ne serait-ce qu’une minute, de décompresser. Préparer un matcha, ça représente justement une minute, pendant laquelle on se concentre uniquement sur cette action. C’est une sorte de méditation qui permet de déconnecter de notre vie quotidienne mouvementée, d’oublier tout ce qui est angoissant l’espace d’un instant. Je vous invite ainsi à prendre ce petit temps pour préparer un thé et voyager au Japon en le savourant.
Vous trouverez les produits Shôbi en ligne, ainsi que tous les points de vente physiques où ils sont disponibles, à l’adresse www.shobi.fr.
























