France Sushi : Vous venez de gagner la coupe de France de sushi. Peut-on revenir sur votre parcours ?
Vincent Broggi : Tout a commencé il y a treize ans dans un Sushi Shop à Bayonne que j’ai quitté au bout de sept ans (Vincent Broggi a 32 ans, NDLR) pour ouvrir mon Pop up sushi à Biarritz. Puis je suis parti au Danemark afin d’acquérir une expérience dans un restaurant de sushis dans les halles de Copenhague. Au même moment, je travaillais la cuisine nordique et j’ai enchaîné avec du consulting à Madrid. Après cela, je suis revenu en France, à Saint-Tropez ; pendant trois ans, j’y produisais des commandes en tant que chef privé. Puis j’ai eu mon atelier à Bayonne, où je faisais des commandes pour les particuliers et pour les événements. Et enfin, en parallèle à Saint-Tropez, j’ai travaillé au restaurant Izumi, au Four Seasons à Genève pendant un mois. Je suis maintenant chef au Village Gastronomique dans la Cité de la gastronomie et du vin à Dijon.
Comment avez-vous découvert le monde des sushis ?
V.B. : Je n’ai jamais été au Japon, ni été mis en relation avec des chefs japonais, il y a bien le chef Kato du Four Seasons, mais ça remonte à six mois et ça n’a pas duré. Ma rencontre avec ce monde s’est faite un peu par hasard : je faisais des études de gestion d’entreprise qui ne me plaisaient pas du tout, j’ai complètement laissé tomber la dernière semaine d’examen. Le soir même, je suis allé manger des sushis, je me suis dit que j’allais trouver un petit job le temps de trouver autre chose à faire : c’est comme ça que je suis rentré dans ce monde là.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cet univers ?
V.B. : J’ai toujours été passionné par la cuisine, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. J’ai choisir les sushis parce que ça me permet aussi d’exprimer ma créativité. Ce n’est pourtant pas ce qui m’inspire le plus, je le suis davantage par la pâtisserie au niveau visuel. J’aime la cuisine en général, qu’elle soit française, mexicaine, italienne… mais forcément j’ai appris à connaître la cuisine japonaise un peu mieux avec les sushis.
Vous êtes-vous formé via une école particulière ?
V.B. : Je suis autodidacte dans ma démarche. Aujourd’hui, j’essaie de m’ouvrir un maximum à tout ce que je vois, à tout ce qui me plaît, de rencontrer des gens. Avant, c’était surtout en regardant sur Internet. C’est ma curiosité personnelle qui fait que je m’ouvre à certaines choses, je les teste ensuite dans les sushis. Je fais des essais, si ça marche, je garde, si ça marche moins, j’améliore. C’est l’accumulation de mes diverses expériences professionnelles, comme pour la découpe et pour le riz, qui m’ont permis de m’améliorer : dans une première expérience, j’ai pu avoir quelque chose qui rendait bien, puis dans la deuxième j’ai pu prendre une petite astuce, une autre ailleurs, jusqu’à ce que finalement je me retrouve avec une collection de techniques que j’ai trouvées dans mes activités diverses.
Avez-vous utilisé certaines de vos techniques pour créer des sushis ?
V.B. : Oui, mais pas uniquement cela. Pendant un moment, je faisais des rolls que j’ai appelé «le Nordique» ou j’utilisais des produits qui s’utilisent typiquement dans ce genre de prestation, mais il n’y a rien d’exotique par rapport à ici. De même, toutes ces petites astuces, comme l’huile de commande d’ail des ours que j’ai pu mettre pendant le championnat, ce sont des choses que j’utilisais quand je faisais de la cuisine nordique. Mais ce n’est pas forcément que cette expérience : parfois, je me sers de ce que je goûte, de ce que j’aime ou de ce que je vois. Par exemple, sij’achète une brioche avec des pralines roses dans une boulangerie, cela va m’inspirer pour la Saint-Valentin à faire un roll où je mets des pralines roses en topping. Il me suffit ensuite de faire des tests, cela explique les résultats si différents.
Qu’est-ce qui vous a poussé à participer au championnat de France ?
V.B. : Dans un premier temps, c’est Diego Vianello (lauréat du Championnat de France Sushi 2018, NDLR). J’ai fait un essai dans l’entreprise où il travaillait. Vu qu’il aimait bien les championnats, il m’a dit : « Tu devrais essayer. » Il me l’a dit une fois, puis deux, on est restés en contact et un matin de l’année dernière, j’ai reçu un message « Il reste des places pour s’inscrire pour le championnat de France ». C’était à peu près deux semaines avant la compétition.
Comment avez-vous fait pour vous préparer en deux semaines ?
V.B. : Je me suis préparé tout seul, comme j’ai pu. Mais à ce moment-là, je ne savais pas ni ce qu’était un kasari, ni ce qu’était un sasagiri (découpe d’une feuille de bambou à but décoratif pour le sushi, NDLR). Japonais traditionnel, épreuve edomae, je n’avais jamais vu ça non plus ! J’avais mon atelier à Bayonne dans lequel je passais mes journées à essayer de travailler sur mes plateaux, sur ma découpe… Une fois qu’on a eu les règles, j’ai essayé de travailler du mieux que je pouvais en fonction de ce que je pensais être une réussite. C’était la première fois, je ne savais pas à quoi m’attendre, je me suis entraîné sérieusement. Mais c’est difficile de se préparer en ne sachant rien. Finalement, j’y suis allé pour me donner de la visibilité et pour profiter d’une nouvelle expérience.
Qu’avez-vous pensé de l’édition 2023 ?
V.B. : En toute franchise, je n’ai pas trouvé les épreuves de l’après midi plus lentes que l’épreuve du matin (le matin les épreuves végétale et signature durent huit minutes, l’après midi les épreuves edomae et freestyle en font quarante, NDLR). J’ai trouvé par contre que c’était une bonne idée de laisser la chance aux six qualifiés de présenter leur plateau freestyle, c’était plus dynamique d’avoir plus de monde jusqu’à la fin. En termes d’expérience, je m’attendais à trouver ce que j’ai trouvé, j’ai eu ce que je voulais.
Avez-vous fait beaucoup de tests pour la partie freestyle ?
V.B. : J’ai passé en revue toutes les épreuves. L’année dernière, j’avais été quatrième et ce qui m’avait disqualifié, c’était de ne pas connaître l’edomae. Cette année, j’ai intégré à ma routine professionnelle quotidienne les kasaris et les sasagiris, j’en ai fait tous les jours. J’ai également beaucoup travaillé l’épreuve edomae. Pour l’épreuve végétale, j’ai fait au mieux avec les produits saisonniers. Je me suis aussi penché un peu plus en détail sur les préparations, comme mon vinaigre de shiso pourpre pour mariner mes oignons rouges où comme le pesto d’ail des ours que j’avais fait pour l’épreuve créative. Je trouve que la première année, le roll que j’avais fait était assez simple. Cette fois-ci, j’avais une réelle démarche, une envie de trouver quelque chose que je n’avais jamais vu. Mon but était, pour le championnat de France, d’adapter une recette qui s’apparente à de la cuisine française en sushi. L’objectif était de faire un cabillaud beurre blanc, j’en ai servi un chaud à la minute au chef pendant la dégustation. C’était très intéressant. Par contre, le plateau freestyle, je ne l’avais jamais fait, c’était de l’improvisation. De même, le roll dégustation, je l’ai goûté il y a trois jours. La première personne à part moi à avoir goûté le roll, c’est le juge Hanada san.
Vous avez remporté le titre. Quels sont vos projets ?
V.B. : Pour mes projets, la suite c’est déjà de continuer à faire un peu ce que je fais, mais en poussant plus loin encore ma créativité et la qualité de mes produits. Pour tout ce qui est championnats du monde, j’avoue que je suis un perdu pour l’instant car je ne sais pas du tout comment ça va se passer. J’essaie de m’entraîner au maximum pour pouvoir être prêt pour l’échéance qui arrive. C’est beaucoup de travail à venir et je ne pense qu’à ça pour l’instant donc je n’ai pas vraiment eu le temps de penser au reste, mais j’ai encore un petit peu de temps. Je pense que le fait d’avoir le titre va me donner aussi de la visibilité, ce qui est positif. J’espère continuer dans ma démarche de faire du sushi créatif mais de qualité et essayer de me diversifier, que ce soit sur des événements privés ou même d’aller plus loin dans ce que je propose en essayant de faire des soirées omakase diverses, la suite est à voir.
Par rapport à votre expérience et à votre titre, savez-vous où vous devez vous améliorer et là où vous êtes à l’aise ?
V.B. : Pas vraiment : pour le mondial, il faudra travailler sur tout. C’est encore un peu flou mais dans tous les cas, je ne sais même pas ce qui m’attend dans les épreuves. Je sais qu’il va y avoir de l’anguille et je n’en ai jamais travaillé, à part ça c’est très vague, mais j’imagine que ça va arriver. J’essaye de connaître la date, les épreuves, comment ça va se passer et ainsi voir ou est ce que je peux m’entraîner pour pouvoir maîtriser tout ça pour le championnat.