France Sushi : En 1971, votre mère, Yôko Hashimoto, a révolutionné le monde de la teinture en utilisant de la cire, ce qui n’était pas une technique traditionnelle japonaise. Comment a-t-elle décidé de créer son atelier ?
Hatsuko Ukigawa : Après la Seconde Guerre Mondiale, la teinture naturelle était en voie de disparition à cause de l’essor des teintures chimiques. Elle a voulu fonder un atelier de teinture à la cire qui lui permettrait à la fois de préserver une culture et un savoir-faire, mais aussi de créer des œuvres d’art à l’Ai, l’indigo japonais. La teinture à la cire, rôketsuzome en japonais, est une pratique qui a toujours existé ; on l’appelle batik en français. Mais c’est Yôko Hashimoto qui a combiné les deux techniques, cire et aizome (la teinture à l’indigo), pour la première fois il y a cinquante ans.

La technique de la teinture à la cire a-t-elle évolué depuis la création de l’atelier ?
Elle n’est pas exactement pareille mais elle reste essentiellement la même. Encore aujourd’hui, nous travaillons de manière traditionnelle et artisanale. Nous achetons le pigment que nous utilisons aux aishi, les personnes qui cultivent la plante à partir de laquelle on produit l’indigo. À l’époque où l’atelier fut créé, seules cinq familles d’aishi étaient encore en activité, et leur production s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui.

L’indigo peut être utilisé de beaucoup de façons différentes, par exemple sur textile ou sur toile. Aujourd’hui, quels types d’ouvrages l’Atelier Seiran réalise-t-il en majorité ?
Certains ateliers se spécialisent, et d’autres, comme nous, cherchent à rester très divers. Nous faisons à la fois des vêtements, par exemple des kimonos, yukatas ou ponchos, et des œuvres d’art. Nous aimons particulièrement créer des objets que les gens pourront utiliser dans leur quotidien.

En termes de production et de présentation d’œuvres, l’atelier se concentre-t-il sur le Japon ou exportez-vous aussi à l’étranger ?
Nous commençons donc tout juste à développer un marché en France. Nous savons que l’indigo japonais est très connu et apprécié en France, et essayons justement d’élaborer de nouveaux produits qui nous permettraient de promouvoir notre savoir-faire dans ce pays. En 2022, ma mère a remporté le prix du Salon International du Patrimoine Culturel pour son œuvre « Jomi no Uzu ». Cette année, nous avons été sélectionnées ensemble, c’est une expérience extraordinaire. Cela nous a décidées à venir en France, ce pays qui a reconnu en premier la qualité de notre travail. Nous voulons présenter notre savoir-faire et faire expérimenter au public l’Awa ai.

Vous présentez dans le Salon International du Patrimoine Culturel des vêtements typiquement japonais, comme des kimonos mais aussi des tableaux. Est-ce que vous recevez des demandes de produits avec un style plus « occidental » ?
Il y a effectivement une forte demande pour d’autres types de pièces que les yukatas et les kimonos, qui sont des produits déjà connus du grand public, comme des ponchos, des robes ou des foulards. Nous avons par ailleurs une agente commerciale présente sur Paris qui a établi le contact avec des distributeurs, des boutiques, des cabinets, afin de rendre disponibles nos produits.

Combien de personnes sont employées par l’Atelier Seiran au Japon ?
Ce sont une dizaine de personnes, qui travaillent uniquement sur la partie textile porté au quotidien, comme les ponchos et les foulards, mais pas sur la partie œuvres d’art.

Dix personnes, c’est peu au vu de la qualité de la production ! Combien de temps prenez-vous pour créer puis teindre les vêtements ?
Ça dépend du produit, mais un poncho, par exemple, prend environ un mois. Tout commence avec la culture du Tade-ai, la plante à l’origine du sukumo, le pigment que les artistes achètent aux agriculteurs et utilisent pour leur travail de teinture. Les plants sont coupés à la machine, puis on sépare les feuilles des tiges à l’aide d’un ventilateur. Les feuilles sont placées en tas et laissées à fermenter en les arrosant d’eau puis en les mélangeant régulièrement. C’est un processus qui est réalisé à la main aujourd’hui encore par les aishi. À la fin de celui-ci, on récupère les feuilles fermentées solidifiées en blocs que l’on va dissoudre dans de l’eau chaude et laisser reposer une heure. On obtient alors le sukumo, que l’on verse dans une jarre appelée ai-game : et voilà la teinture ! La création des pièces en elle-même commence par une réflexion sur le design, qui sera dessiné au crayon sur le tissu. On place ensuite de la cire fondue là où l’on veut empêcher la teinture de prendre, puis on trempe le tissu dans une jarre. Il apparaît d’abord brun, mais après séchage à l’air libre et rinçage, la couleur passe au bleu. Nous répétons le processus d’application de cire et de teinture en jouant sur le nombre de trempages et leur durée pour obtenir les nuances souhaitées. Cela peut aller jusqu’à 18 fois ou plus ! Si vous voulez plus de détails, je vous invite à regarder les vidéos disponibles sur notre site https://seiran.art/french.

Quel avenir envisagez-vous pour l’atelier ?
J’aimerais tout d’abord continuer à faire connaître nos œuvres, en France et ailleurs, afin que les artisans de l’atelier puissent poursuivre leur création avec plaisir et dans de bonnes conditions. Nous nous lançons également dans des projets uniques et innovants qui mêlent notre technique traditionnelle d’aizome à des concepts très modernes. Par exemple, vous avez pu voir dans l’exposition une œuvre pour laquelle nous avons utilisé une imprimante 3D : des poèmes japonais du Kokin wakashû imprimés en 3D derrière lesquels sont exposées des toiles en aizome les illustrant. Avec ces œuvres, nous voulons représenter notre vision de la culture traditionnelle japonaise. Par ailleurs, nous serions ravi·e·s de faire visiter l’atelier principal de Tokushima aux personnes qui y seraient de passage !

Plus d’informations

https://seiran.art/french

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