France Sushi : Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Takashi Gotô : Je travaille chez l’entreprise Herlix en tant que blender master. J’ai entièrement conçu le digestif Yanagi, que j’aimerais désormais faire connaître.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours avant de créer ce digestif ?
L’objectif premier d’Herlix est de contribuer à son échelle au rayonnement de la région d’Aichi, et ce peu importe la nature de son activité. A l’origine, c’est une entreprise qui conçoit des voitures, mais on m’a donné carte blanche pour réfléchir à quelque chose en dehors de ce champ d’activité. Je me suis donc demandé s’il n’était pas possible de proposer à la vente de nouveaux produits, comme du jus de pomme ou de la sauce soja. J’ai commencé par réfléchir à comment vendre une sauce soja non stérilisée à haute température, et j’ai testé plein de choses différentes. Il me fallait quelque chose qui soit rentable, ou sa production ne pourrait durer sur le long terme.

Comment et quand avez-vous pensé au saké ?
Étant diplômé de la section fermentation de l’université agricole de Tokyo où je l’ai étudié, bien avant d’intégrer Herlix, j’ai eu l’idée de m’essayer à la fabrication de saké. J’ai commencé à travailler sur le projet en 2019, à peu près à la période où le coronavirus atteignait un pic au Japon et où l’activité devenait de plus en plus compliquée.

Pouvez-vous nous parler de l’histoire de la fabrication du saké dans le département d’Aichi ?
À l’origine, la région d’Aichi est très réputée pour sa riche culture des produits fermentés.
Tokugawa Ieyasu a décidé de construire Edo, le Tokyo actuel, dans un lieu où il n’y avait absolument rien, il y a donc eu une très forte demande de main d’œuvre et de nombreux jeunes gens se sont déplacés pour construire la ville. La plupart étaient célibataires et n’avaient donc pas de famille, ainsi leurs repas s’apparentaient souvent à du fast-food. À l’époque au Japon, c’était le sushi. La consommation de saké et de sushi a alors explosé à Edo. Seulement, le saké n’était pas produit à Edo, mais dans des régions productrices comme Osaka ou Hyôgo qui le transportaient en bateau. Ces derniers s’arrêtaient justement dans la région d’Aichi. Une connaissance de Tokugawa Ieyasu administrait la région et, envieux des régions productrices de saké, il demanda à Ieyasu s’il ne pouvait pas produire lui aussi du saké dans sa province. C’est ainsi qu’Aichi devint une grande région productrice de saké.-

Comment Aichi est-elle devenue si célèbre pour ses produits fermentés ?
La fabrication de saké produit du sakekasu, de la lie de saké, qui était considéré comme un déchet industriel. C’est en réfléchissant à comment utiliser cette ressource que le kasutori-jôchû, une sauce soja, fut créée. On fit ensuite, à partir de ce kasutori-jôchû, du mirin et du vinaigre. Le vinaigre, une fois importé à Edo, connut un énorme succès grâce aux sushis, augmentant ainsi considérablement la production de mirin et de vinaigre à Aichi. Dans tout l’archipel japonais, la région d’Aichi est assez exceptionnelle car elle produit la quasi-totalité des produits japonais fermentés existants comme la sauce soja, le miso, le mirin ou encore le vinaigre.

Les 3 ingrédients, mirin, shôchû et thé, viennent donc d’Aichi ?
Oui, en intégralité ! En multipliant les échanges et les discussions, j’ai réfléchi à comment travailler avec ces spécialités de la région pour créer quelque chose avec leurs producteurs. Aujourd’hui, le mirin est un assaisonnement au Japon, mais auparavant, c’était un saké consommé par les nobles. Il n’y avait pas de sucre à l’époque, ce qui faisait des produits sucrés des mets rares et recherchés. J’ai compris qu’encore aujourd’hui, les producteurs de mirin aimeraient que les gens boivent leur produit, et j’ai réfléchi à comment y parvenir. Alors que je prenais conseil auprès d’un chef avec qui je travaille, Masashi Horie, il m’a suggéré de créer un alcool qui se consommerait après le repas.

Comment avez-vous décidé d’ajouter du shôchû au mirin ?
Un digestif doit avoir un taux d’alcool assez élevé mais le mirin ne contient que 13,5 degrés d’alcool. Afin de trouver comment en faire un digestif, j’ai fait des recherches pour voir si quelque chose avait déjà été produit par le passé. J’ai notamment pu consulter un livre qui traite de la culture de l’époque d’Edo dans lequel apparaissait un alcool, le yanagikage, issu d’un mélange de mirin et de shôchû. J’ai cherché dans tout le Japon pour voir si ce yanagikage était encore produit quelque part et quelques producteurs de mirin produisaient encore cet alcool.

Le mirin et le shôchû ont pour base commune le riz, on peut donc imaginer qu’ils iraient bien ensemble. Mais comment avez-vous eu l’idée d’ajouter du thé à ce mélange ?
J’ai fait venir différentes bouteilles de yanagikage pour les comparer mais elles étaient toutes très différentes en tout point : fabrication, couleur, goût… Mis à part le fait de mélanger du mirin et du shôchû, aucune recette ne semblait faire l’unanimité. Cela m’a permis de prendre une certaine liberté de conception. J’ai trouvé les différents yanagikage existants difficiles à boire et pas très bons. J’ai commencé à me dire qu’avec seulement du mirin et du shôchû, cela ne conviendrait pas aux goûts des gens de notre époque et qu’il fallait quelque chose en plus, comme des fruits, du thé… L’étape suivante fut donc de chercher une saveur à ajouter à ce mélange. C’est ainsi qu’est né le premier digestif créé au Japon.

Pourquoi avoir choisi le thé comme troisième élément ?
Au départ, j’ai testé quatre saveurs différentes, que j’ai essayé de mélanger ensemble : mikan, pomme, gingembre et armoise. Chacune avait sa particularité : sucrée, acide, amère, âpre. L’armoise ne faisait définitivement pas l’unanimité, j’ai donc cherché un remplaçant. L’armoise avait pour rôle l’amertume et j’ai tout de suite pensé au thé. J’ai testé différentes variétés, du thé noir, du hôjicha (thé vert torréfié), du thé vert, du thé au soba (sarrasin), du genmaïcha… Il s’est avéré que le hôjicha était le meilleur. L’alcool obtenu avec seulement le hôjicha a tellement plu, notamment au chef, que j’ai décidé d’abandonner les autres saveurs. C’est donc après de nombreux tâtonnements que le Yanagi est né.

Combien de temps prend le processus de fabrication ?
Le mirin que nous utilisons, vendu dans le commerce, est produit en deux ans car c’est un produit qui nécessite de la maturation. Une fois le mélange effectué, cela ne prend qu’un an. Donc au total, il faut trois ans.

Passons à la partie commercialisation et distribution. On peut voir sur la bouteille un millésime, 2022, ce qui n’est pas forcément le cas en France sur les digestifs. Pourquoi ce choix ? Prévoyez-vous des changements dans les prochaines années ?
En fait, cet alcool a une capacité d’évolution, il se bonifie avec le temps. De plus, dans mon esprit, le goût n’est pas encore fixé donc il sera différent en 2023. C’est donc primordial d’afficher un millésime car chaque année, l’alcool obtenu sera un peu différent.

On voit aussi sur le site et sur la bouteille que tout est écrit en français. Avez-vous vraiment une volonté de vous concentrer sur l’export et notamment sur la France, qui a une culture du digestif plus importante ?
Oui tout à fait. Notre page d’accueil aussi est seulement écrite en français à l’heure actuelle et le Yanagi n’est pas encore commercialisé au Japon. A l’inverse, je ne souhaite pas que les Japonais découvrent tout de suite cet alcool (rires).

Généralement, un alcool japonais vendu en France est d’abord un alcool créé au Japon qu’on a ensuite essayé d’exporter. Mais Helix a vraiment la France en tête dès le départ. Que pensez-vous que les Français apprécieront dans votre produit ?
D’abord, le fait que le Japon n’a pas une culture des digestifs a beaucoup joué. J’ai créé mon alcool avec cette envie de commencer par un pays qui la possède et qui saurait apprécier ce produit. On compte de nombreux alcools très différents dans les pays où il est de coutume de consommer des digestifs, c’est pourquoi j’ai voulu concevoir un produit avec une spécificité assez forte pour qu’elle donne envie aux consommateurs de le choisir parmi tous les digestifs existants. Il a déjà reçu le prix Superior Taste Award de l’International Taste Institute en Belgique. Ainsi, j’ai conçu mon produit comme un digestif relativement faible en alcool, il ne fait que 20 degrés. Je l’ai pensé comme une boisson qui viendrait accompagner un dessert.

Avec quel type de dessert imaginez-vous un Français le consommer ?
En termes d’arôme, il se marie très bien avec la vanille. Je dirais donc des desserts crémeux ou encore des crèmes glacées. Il peut aussi être versé sur le dessert.

Combien y a-t-il de bouteilles produites aujourd’hui et quel est le prix de vente producteur et public estimé ?
Nous avons produit 1800 bouteilles de 500mL. Le prix n’est pas encore fixé, nous sommes justement en discussion.

Quelle est votre cible de distribution : restaurateurs, cavistes, particuliers ?
Actuellement, j’ai dans l’idée de le proposer avec des desserts donc pour le moment je vise plutôt des restaurants gastronomiques français, des chocolatiers, des palaces hôtels… Comme le nombre de bouteilles est limité à 1800, c’est compliqué de le vendre auprès du grand public.

Une fois vos 1800 bouteilles vendues, quelle est la suite pour vous ? Prévoyez-vous de continuer à faire un millésime avec une seule bouteille ou avez-vous d’autres idées de gammes ?
En ce qui concerne 2023, nous allons changer le mirin. Et tout comme le raisin pour le vin, les ingrédients peuvent changer légèrement, comme la composition du mirin par exemple. Les millésimes seront donc tous un peu différents, mais le Yanagi restera le Yanagi. La première cuvée a vieilli dans des cuves en inox, mais à partir de 2023, certaines cuvées seront vieillies dans les mêmes tonneaux que le whiskey Mizunara. Les barriques Mizunara ne sont vendues nulle part ailleurs. Seul le whisky de Santori, le Yamazaki, en utilise. Je suis donc le seul, hormis Santori, à en posséder.

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